Qu’est-ce qu’on cherche, au juste ?

Richard IIIOn cherche quoi QEn lisant les journaux de ces derniers jours, j’ai appris que les Espagnols ont découvert la tombe, le cercueil et les ossements de Miguel de Cervantès – connu de tous, au moins comme nom accompagnant Don Quichotte, son cheval, son épée et son serviteur Sancho Panza sur les chemins de l’Espagne. Les Anglais, eux, ont retrouvé où Richard III repose, vous savez, le roi noirci par Shakespeare dans sa pièce homonyme, à propos duquel il est non seulement question d’un cheval, mais aussi d’un royaume. Et quelque chose me dit qu’on est déjà sur les traces de l’arbalète de Guillaume Tell.

Tout ça est « sensationnel », comme disent les journalistes. Sauf que… tout ne peut évidemment pas être prouvé à 100%, que certains points restent obscurs. Alors on cherche et cherche encore, toujours plus. Mais… on cherche quoi, à la fin ?

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On cherche quoi RAh ma chère Ariane, tu me demandes ce qu’on cherche en exhumant, décortiquant et analysant les dépouilles des hommes célèbres du passé, comme on vient de le faire avec Miguel de Cervantès ? Ou ce qu’on cherche en organisant des funérailles dignes de ce nom à ceux qu’on estime avoir été jadis enterrés injustement dans la précipitation, comme on vient de le faire avec Richard III ?

Qu’est-ce qu’on cherche, à la fin ? Eh bien c’est simple : on cherche la vérité ! On veut en avoir le cœur net. Découvrir et dévoiler la vérité : pas la vérité subjective de chacun, mais la vérité historique, scientifique, objective qui vaut pour tous – la vérité pure et dure, sur laquelle on peut s’appuyer une fois pour toutes.

Alors on fouille, on creuse, on dégage, on dévoile, on nettoie, on clarifie tout ce qui est là, à disposition, prêt à être fouillé, creusé, dégagé, dévoilé, nettoyé et clarifié. Pour aller toujours plus loin, toujours plus profond. Pour qu’il n’y ait plus aucune obscurité. Pour que tout soit expliqué et prouvé à 100%. On met tout en œuvre pour l’atteindre, coûte que coûte, cette vérité qui toujours nous échappe. Non pas la vérité sur nous-mêmes, sur notre manière de regarder le monde, de vivre les choses, d’être avec les gens, de percevoir, d’interpréter, d’accompagner ou de juger les phénomènes de la vie – trop compliqué –, mais la vérité sur ce qui est d’ores et déjà fixe, objectif et… mort.

Pourquoi ? Parce qu’avec ce qui est fixe, objectif et mort, on a beaucoup moins de risques de se tromper qu’avec le vivant ! Oui, c’est vrai : le vivant a pour fâcheuse habitude de toujours changer de caractère, de toujours évoluer, en fonction des moments, des circonstances, de l’entourage, des angles de vue, etc. Raison pour laquelle on aime tout particulièrement s’occuper des grands hommes du passé, morts depuis longtemps : chercher la vérité à leur égard est beaucoup plus sûr, beaucoup plus stable que celle sur les hommes vivants, nous-mêmes y compris… Déjà simplement parce que les morts ne viendront jamais se plaindre et dire que ce qu’on raconte sur eux n’est pas vrai… On a ainsi d’autant plus l’impression de pouvoir tout éclairer, expliquer et prouver à 100%, – ce qui est rassurant.

L’avantage, avec les grands hommes du passé, c’est qu’on les connaît. On sait qui ils sont, comment ils sont, ce qu’ils ont fait, pourquoi ils l’ont fait, et tout et tout. Ils sont répertoriés, catalogués dans les livres d’histoire, les dictionnaires, internet. Ils font partie de la culture générale de tout un chacun. Bien sûr, en même temps, il reste toujours un petit quelque chose qu’on ne sait pas, qu’on ne connaît pas, qu’on ne comprend pas. Du moins pas encore. Et comme tout le monde est très avide de nouvelles découvertes à leur égard – sur leur vie, leur entourage, leur travail, leurs sensations, leurs volontés leurs actions, leurs forces, leurs faiblesses, leurs désirs, leurs peurs, leur mort, jusqu’à leurs ossements – on cherche toujours et encore, toujours plus loin, toujours plus profond.

Si ces hommes sont grands, c’est qu’ils sont nos ancêtres, les fondateurs de ce qui fait notre monde actuel, nos modèles, nos exemples. De sorte que tout le monde sera d’accord pour dire qu’il vaut la peine d’en creuser, dégager, dévoiler, nettoyer et éclaircir tout, jusqu’à la plus microscopique zone d’ombre. Pour en avoir le cœur définitivement net. Et afin que les éventuels imposteurs soient démasqués. Et que les vrais héros brillent de tout leur éclat et soient en mesure, sinon d’éclairer nos humbles vies, d’alimenter nos discussions et d’affermir notre culture générale.

Mais, tu le sais bien, ma chère Ariane, là où on se trompe, c’est sur la vérité elle-même, sur l’idée qu’on se fait de la vérité elle-même. En effet, loin d’être un dévoilement progressif, de zéro à 100%, toute vérité est toujours intrinsèquement marquée par l’ombre. Oui, la vérité, bien qu’on croie qu’il est possible de l’atteindre, n’est somme toute qu’une… production à partir de l’ombre. On ne cesse de l’oublier : toute vie, tout dévoilement, et donc toute vérité est toujours fondamentalement tributaire non seulement d’une dimension d’ombre, mais encore d’une dimension productrice.

Si on aime s’occuper de la vérité des grands hommes du passé, c’est simplement qu’on est plus libre dans sa production ! Ce qu’on fait avec les grands hommes de passé, comme avec tout, c’est les produire, les reproduire à notre guise, finalement surtout pour ne pas avoir besoin de penser aux vraies questions de la vie…

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Tous les mardis, PHUSIS donne une perspective phusique à une actualité, un événement, un extrait de texte, une pensée, une sensation, un problème ou n’importe quel phénomène jubilatoire ou inquiétant de notre monde formidable. Le matin, à 6h30, un phusicien poste un bref article, sous forme de question à méditer. Puis, au plus tard à midi, PHUSIS propose une réponse et mise en perspective.

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