Big Eyes QLa critique n’a pas aimé Big Eyes, le dernier film de Tim Burton (USA), qui rejoue la scandaleuse histoire vraie de l’une des plus grandes impostures de l’histoire de l’art.
Ça se passe entre la fin des années 50 et le début des années 60. Le peintre Walter Keane (l’agité Christoph Waltz) connaît un succès phénoménal et révolutionne le commerce de l’art grâce à ses énigmatiques tableaux qui représentent des enfants tristes, avec des yeux immenses. Mais voilà que la vérité éclate au grand jour : ce n’est pas Walter Keane qui peint ses toiles, mais… sa femme, Margaret (la docile Amy Adams).
La critique est unanime : Big Eyes est en même temps trop académique, léché et superficiel, mais encore déséquilibré et ambigu. Trop simple et trop compliqué à la fois. Donc on y comprend rien : ni au mystère de la création, ni aux grands yeux, ni au succès des tableaux, ni au personnage de Margaret. Pourquoi ?
Parce que Tim Burton ne traite rien et ne prend jamais position, ce qui est quand même énervant, à la fin, dit la critique…
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Big Eyes RLa critique n’a pas aimé Big Eyes, le dernier Tim Burton ? Eh bien nous on a adoré le film ! Et ce notamment pour les raisons pour lesquelles la critique ne l’a justement pas aimé : parce que c’est un film académique, superficiel, déséquilibré et ambigu. Parce que Tim Burton refuse de prendre parti. Parce qu’il n’essaie d’expliquer ni le mystère de la création, ni le fabuleux succès des grands yeux, ni rien du tout. Parce qu’il se contente, en authentique artiste qu’il est – le délicieux Tim Burton, avec son imaginaire, ses couleurs, ses clins d’œil, son ironie –, de montrer les choses de la vie : comment elles se font jour, comment elles vont et viennent, comment elles jouent, comment elles se jouent, comment elles évoluent, comment elles se donnent, comment elles luttent, pour finir par disparaître. Les choses de la vie avec leur logique, leur musique et leur cohérence propres, qu’il est tout simplement vain de vouloir cerner une fois pour toutes en bonne et due forme, comme voudrait le faire la critique.
Souvent, le problème, avec la critique, c’est qu’elle est faite par des gens très intelligents, très logiques, très rationnels : des érudits, doués d’une grande culture, d’une forte vision du monde et de l’art, qu’ils cherchent à défendre et à alimenter à tout prix. Donc des individus qui veulent tout comprendre, qui passent leur temps à objectiver, mesurer et juger les choses, avant de les classer dans leurs catégories. Les critiques ? Des gens à qui on ne la fait pas, qui ne se laissent pas mener en bateau, qui détestent l’ambiguïté et le mystère ! Tout le contraire de nous, pour dire la vérité !
Donc, forcément, si la critique est faite par des gens comme ça, les papiers sur Big Eyes ne peuvent être que négatifs. Car même si, pour une fois, Tim Burton raconte une histoire basée sur une histoire… vraie – et non une histoire purement imaginaire –, jamais pour autant, dans son film, jamais il ne juge ni ne classe les phénomènes et les gens, aussi étonnants, bizarres, voire scandaleux soient-ils. Tout ce que fait Tim Burton, comme tout artistique qui se respecte – et qui donc respecte la vie, la vie artistique en général –, c’est présenter, accompagner et faire jouer, danser et jubiler les phénomènes à leur guise. Sans le moindre jugement ni classement.
Aussi, au grand dam des critiques, Big Eyes présente un monde où les choses ne sont pas univoques, pas toutes claires, pas forcément logiques et compréhensibles. Un monde où se mêlent les questions du vrai et du faux, de la sincérité et du mensonge, de la transparence et du faux-semblant, des voiles, du jeu, de la fiction et de la réalité, de la crédibilité et du respect, de l’authenticité et de l’imposture, de l’amour et de la haine, de la logique raisonnable et de la folie irrationnelle, de la possession, de la domination et de la liberté, de l’original et de la copie, de la reproduction mécanique, du merchandising, de la naïveté et du calcul, de la soif de pouvoir et de la perfidie, de la création pure et de l’opportunisme éhonté, de l’égoïsme et de la dévotion, de l’émotion et de la jalousie, de la bêtise et de l’argent, de la mise en scène et de la mise en abîme, de la justice et de l’injustice, etc. Bref : un monde où se mêlent les questions de l’art, de l’artifice et du jeu la vie en général.
Le tout baigné de couleurs, rythmé de musiques et de clins d’œil ironiques, comme seul Tim Burton est capable de le faire. Pour nous plonger, une heure et demie durant, dans un délicieux rêve, moins compréhensible certes, mais bien plus vrai, plus riche et plus instructif sur la vie que la réalité elle-même.
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Tous les mardis, PHUSIS donne une perspective phusique à une actualité, un événement, un extrait de texte, une pensée, une sensation, un problème ou n’importe quel phénomène jubilatoire ou inquiétant de notre monde formidable. Le matin, à 6h30, un phusicien poste un bref article, sous forme de question à méditer. Puis, au plus tard à midi, PHUSIS propose une réponse et mise en perspective.
Il n’y a rien Ă comprendre, dans ce film. Juste Ă le regarder, les yeux et les oreilles grands ouverts, et Ă le vivre! Sa vĂ©ritĂ© s’impose d’elle-mĂŞme!S’il y a jamais eu film plus simple que celui-ci, c’est bien lui! Non?