Comme un avion – sans ailes –, ça vous dit quelque chose ? Pas la chanson de Charlélie Couture, ou plutôt pas vraiment. Non, le dernier film de Bruno Podalydès, avec… Bruno Podalydès, Agnès Jaoui, Sandrine Kiberlain, Vimala Pons, Denis Podalydès, Pierre Arditi, et plein d’autres encore, ça vous dit quelque chose ? Et Venus, ça vous dit quelque chose ?
« Là un dard venimeux, là un socle trompeur, plus loin une souche à demi-trempée, dans un liquide saumâtre, plein de décoctions d’acide, qui vous rongerait les os. Et puis, l’inévitable clairière amie, vaste, accueillante, les fruits à portée de main. Et les délices divers, dissimulés dans les entrailles d’une canopée, plus haut que les nues.
Elle est née des caprices, elle est née des caprices : pommes d’or, pêches de diamant, pommes d’or, pêches de diamant ; des cerises qui rosissaient, ou grossissaient, lorsque deux doigts s’en emparaient; et leurs feuilles enveloppantes, la pluie et la rosée, la pluie et la rosée.
Toutes ces choses avec lesquelles il était bon d’aller, guidé par une étoile, peut-être celle-là  : première à éclairer la nuit, première à éclairer la nuit, première à éclairer la nuit : Vénus, Vénus, Vénus… »
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Je m’appelle Michel (Bruno Podalydès). Je suis infographe : je fais des animations en 3D pour un studio, de publicité. J’ai cinquante ans, une femme charmante, Rachel (Sandrine Kiberlain), très aimable, très gentille ; j’ai deux enfants, adolescents, qui ne posent pas vraiment problèmes ; des amis, un appartement, une brosse à dents électrique, un scooter pour me déplacer à mon travail.
Un truc que j’aime beaucoup moi, dans la vie, depuis tout petit – et ce même que tout le monde s’en fout, et qu’on a même plutôt tendance à se moquer de moi, gentiment –, c’est… l’Aéropostale. Oui, depuis tout petit, je suis fasciné par l’Aéropostale : ces aventuriers des airs qui, tout seuls, dans leur avion, traversaient l’Atlantique au tournant des années trente pour transmettre des colis, rassembler les gens. Pour moi, c’est tout un idéal !
D’ailleurs, sur mon scooter, à chaque fois que je le prends, je fais un check-in, comme Jean Mermoz, le fameux aviateur de l’époque. Et à la maison, tout le monde ne le sait pas, j’ai une armoire spéciale, avec diverses reproductions miniatures d’avions bleus que j’aime tout particulièrement et qui me font rêver ; et que je regarde quand j’ai tout à coup un coup de blues.
Avec ma femme, ma famille, mon travail, mes amis, dans la vie, avec mes rêves, on peut objectivement dire que tout va bien. Même que je suis plutôt seul. Les gens sont agréables, avec moi. Je n’ai pas de difficultés particulières : mon boulot me va, ma famille est bien, ma femme est douce, tolérante, jolie ; même que je ne peux pas partager grand-chose, c’est vrai. On ne me comprend pas vraiment. On ne s’intéresse pas vraiment à ce que j’aime, à ce qui m’intéresse, moi, à ce que je suis, à ce qui me fait rêver. Mais ce n’est pas grave, ça a toujours été comme ça. Moi, bien sûr, des fois, j’essaie d’expliquer, de montrer, de partager, mais ça ne sert pas à grand-chose. Les gens s’en foutent ; et ont même plutôt tendance à se moquer de moi.
Un jour, au travail, dernièrement, sur internet, je suis, par hasard – pour autant que ça existe, le hasard, bien sûr… –, je suis, par hasard, donc, tombé sur… un kayak. Oui, un kayak ! Et ça a tout de suite été le coup de foudre : parce que c’est quand même quelque chose, un kayak ! Parce que c’est beau, un kayak ! Parce que ça fait rêver, comme un avion, un kayak. Ah, pouvoir naviguer, seul, sur la rivière, se laisser emporter, comme ça, doucement, par le courant, pagayer, à gauche, à droite, et à gauche, et à droite, aller à l’aventure, loin de tout, rejoindre progressivement la mer.
Très vite, le kayak est devenu ma nouvelle passion. D’abord inavouée, mais à quoi cacher les choses : de toute façon, je ne pensais plus qu’à ça. Très vite, je me suis rendu compte qu’il m’en fallait un, de kayak ; qu’il fallait que je puisse naviguer, comme ça, seul, sur l’eau, en aventurier, pour, progressivement, avancer, avancer, avancer, jusqu’à la mer.
Bon, j’ai commencé par faire venir un catalogue à la maison. Puis me suis acheté des pagaies. Puis un bateau, en bois, que j’ai construit moi-même, dans mon salon. Puis tout le matos qu’il faut pour partir en expédition. Et je me suis mis à m’entraîner, aussi, tout seul, en toute discrétion, chez moi, dans le salon, puis sur le toit.
Avant de franchir le pas, avant d’y aller, de larguer les amarres, d’abandonner Rachel sur la rive ; et de partir, comme ça, au loin, partir. Progressivement, avancer, avancer, avancer, en direction de la mer.
Ah, quelle aventure ! C’est vrai, finalement longue de quelques kilomètres seulement, mais quelle aventure quand même ! Tout à coup, le rêve est devenu réalité. Et la réalité est devenue rêve. Une fois dans mon kayak, je me suis mis à glisser sur l’eau, à avancer, tout doucement, à accompagner, de ma rame, l’élément ondoyant, à sentir les moindres mouvements, à gauche, à droite, puis de nouveau à gauche, à droite, comme ça, avec ma rame. Et, progressivement, j’ai lâché prise, j’ai déconnecté – non pas « déconné », comme diraient certains…, mais « déconnecté » : je suis allé avec le flux, je me suis laissé glisser, comme ça, dans l’aventure.
Bon, bien sûr, on pourra dire que je me suis retrouvé coincé sur une souche, que j’ai dû appeler Rachel pour qu’elle vienne me tirer de là . Bien sûr, on pourra dire que tout ne s’est pas passé à merveille, avec mon matos, ma tente, mon réchaud, mon appareil anti-moustiques. Bien sûr, on pourra dire que je n’ai pas toujours pris le bon chemin, que je me suis retrouvé dans un bras de rivière qui est devenu de plus en plus petit, toujours plus petit, avec toujours moins d’eau, jusqu’à ce que je me retrouve coincé, à sec, dans un ravin à côté d’un supermarché. Bien sûr, on pourra dire tout ça, on pourra dire que tout ne s’est pas passé comme prévu, avec mon kayak, avec mon avion-kayak, mais ça n’a pas la moindre importance. Ce qui compte, pour moi, ce qui a compté pour moi et continue à compter pour moi, c’est l’aventure…
Et, comme ça, à l’aventure, comme un avion, avec mon avion, sans aile, avec mon kayak, je me suis enfoncé dans un autre monde. Après quelques kilomètres, au détour d’un bras de rivière, dans une « clairière, amie, vaste, accueillante, avec les fruits à portée de mains », je me suis retrouvé devant… une maison incroyable, sorte de buvette, de guinguette enchantée, peuplée de gens improbables, burlesques, aimables, poètes, joueurs, voire complètement dingues.
Des gens justes vrais, enfantins, nature, en même temps cultivés, aimables, attentionnés : des femmes douces, accueillantes, souriantes, qui me comprennent et que je ne comprends, avec ou sans paroles d’ailleurs ; que j’aime et qui m’aiment ; qu’on peut séduire, embrasser, et avec qui on peut jouer, partager plein de choses, danser, vivre. Et des hommes sympathiques, eux aussi : des grands enfants, qui passent leur temps à faire des constructions, de la peinture, bleue, comme sur les avions de l’Aéropostale, du collage, du bricolage ; et qui boivent et jouent tout le temps ; et qui passent leur nuit à faire l’amour ; à très bien faire l’amour.
Et tout ce beau monde qui aime la langue, qui aime la musique, qui aime la danse, qui aime l’amour, qui aime la vie…
Bande-annonce :
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Tous les mardis, PHUSIS donne une perspective phusique à une actualité, un événement, un extrait de texte, une pensée, une sensation, un problème ou n’importe quel phénomène jubilatoire ou inquiétant de notre monde formidable. Le matin, à 6h30, un phusicien poste un bref article, sous forme de question à méditer. Puis, à midi, PHUSIS propose une réponse et mise en perspective.
Ce Michel… les gens de cette guinguette… formeraient-ils une communauté de surdoués (dans l’acception actuelle du terme, bien hors des clichés !) et d’esprits très libres (se) vivant ou voulant (se) vivre par-delà bien et mal ?
Je note ce film sur ma liste, que Nietzsche n’aurait sans doute pas désapprouvé !
Merci Phusis !
Oui, la joyeuse guinguette représente une sorte de communauté de « surdoués » de l’existence, dans votre sens. Ce sont à vrai dire de grands enfants, des êtres sensibles, simplement amoureux de la vie en ses infinies possibilités.
Merci à vous, Aurélia, pour vos commentaires, toujours les bienvenus ! Bon vent et à bientôt !
Merci pour votre réponse Michel, qui me donne encore plus envie de voir ce film (ne fréquentant guère les cinémas, j’attendrai donc patiemment sa sortie en DVD !). C’est aussi toujours un plaisir pour moi que de venir vous lire et commenter.
Bel été à vous et à bientôt ! Et longue vie à Phusis 😀 !