Film français de Michel Leclerc, d’après le texte de Jonathan Coe, avec les toujours excellent Jean-Pierre Bacri, Mathieu Amalric, Valeria Golino, Vimala Pons. Musique de Vincent Delerm. Comment, même si c’est la merde, il y a partout des possibilités incroyables dans la vie. Actuellement à l’affiche en Suisse romande. A voir pour bien commencer la nouvelle année.
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Je m’appelle François Sim (comme la carte), j’ai la cinquantaine, suis marié, ai un enfant, une fille, de 13 ans. Ça pourrait aller mieux : ma femme m’a quitté il y a neuf mois et, peu après, j’ai aussi perdu mon travail.
Je viens de passer une semaine de vacances, seul, en club Lookéa, où ma femme avait réservé des vacances il y a dix mois, un mois avant de me quitter. Là, je vais faire escale à Brindisi, chez mon père, que je n’ai pas vu depuis des années.
Vous avez déjà été en dépression, vous ? Moi, ça fait six mois que je suis en plein dedans. Mais je vais mieux, ça va, oui, ça va mieux, je suis en train de rebondir.
Le film, c’est mon histoire, ma vie privée, mes souvenirs : avec Caroline, ma femme, Lucie, ma fille, mon père, qui vit à Brindisi, a priori seul, même que ce n’est pas très clair, mes voisins d’enfance, italiens, avec leur fille, la belle Luigia, que j’aimais bien, et même beaucoup – et que j’aime peut-être toujours.
Le film raconte comment moi, pas vraiment si différent que ça des autres, avec mes faiblesses, mes difficultés, ma vie, mon chemin, comment j’ai toujours fait mon possible, avec mes moyens, mon imaginaire, ma manière de faire, pas forcément comme les autres. Possible que, depuis mon adolescence, j’aie été un brin coincé, un brin maladroit. Je n’ai peut-être jamais été le plus beau, le plus sexy, le plus intelligent, le plus drôle, le plus comme les gens veulent qu’on soit, mais j’ai toujours fait de mon mieux.
Le film raconte comment j’ai raté le coche, avec Luigia, ma voisine italienne, que j’aimais et qui visiblement m’aimait aussi. Ma relation – ou non relation – avec mon père, comment il est devenu ce qu’il est devenu, à cause d’un garçon, il y a très longtemps, à Paris, quand il était tout jeune. Comment, tout dernièrement, j’ai rencontré la jeune et radieuse Poppy, à l’aéroport : Poppy que j’ai tout de suite bien aimée, avec qui on a bien discuté et qui m’a, après, même invité chez elle, où ça a d’abord été compliqué, mais où j’ai finalement rencontré Samuel, son oncle, très sympa, qui m’a parlé de sa passion pour le grand navigateur Donald Crowhurst, que la force des choses a poussé à mentir, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, au point de dériver, dériver, dériver, toujours davantage, jusqu’à devoir sauter par-dessus bord pour disparaître à tout jamais.
C’est drôle, Samuel m’a prêté un livre qui raconte l’histoire du navigateur. Livre que je lis, et qui se mêle étrangement à ma vie à moi, avec mon nouveau travail de vendeur de brosses à dents, avec ma voiture BioBuccal, très propre, très silencieuse, très technique, avec un GPS que j’aime bien, que j’appelle Emmanuelle, avec qui j’aime bien causer et jouer.
Bref le film raconte ma dérive à moi, comment on m’a retrouvé du travail comme vendeur, comment je suis parti sur les routes, comment je me suis retrouvé chez Caroline, ma femme, comment j’ai enlevé Lucie, ma fille, comment on s’est retrouvé en boîte de nuit, elle et moi, plus cette autre femme, qui avait des airs d’Agnès Jaoui, comment je me suis, après, retrouvé dans ma région d’enfance, chez mes anciens voisins italiens, puis chez Luigia, comment j’ai moi aussi dérivé, dérivé, dérivé, jusqu’à sauter par-dessus bord moi aussi, mais pas pour disparaître à tout jamais mais finalement, comme par miracle, rebondir et retrouver la joie de vivre.
Le film montre, avec un brin de nostalgie, ma candeur, ma nature participative, ma maladresse, qui peut prêter à rire, ma vie, notre époque pleine de vide, le temps qui passe, les occasions manquées, les rêves, la naïveté, l’enfance, la gêne, la volonté de bien faire, l’incompréhension, le fait d’essayer, toujours et encore, de faire son possible, toujours et encore, sans grand feeling, peut-être, il est vrai. Il montre le désir, la solitude, l’amour, la vie, la mort, le mensonge, comme refuge, la dérive, sa propre nullité, et en même temps combien on n’est pas responsable de ce qui nous arrive et combien, à bien y regarder, même si c’est la merde, il y a partout des possibilités incroyables dans la vie.
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Bande annonce :
J’adore Bacri et c’est la raison principale pour laquelle je suis allé voir ce film avec des amis.
Il y a incontestablement des scènes d’anthologie où Bacri est au sommet de son art, mais en fait, c’est lui qui tire ce film vers le haut. J’ai trouvé le scenario un peu décousu et peut-être, paradoxalement, trop riche. Je pense que Michel Leclerc aurait pu faire trois ou quatre films avec les histoires imbriquées. Je dis: paradoxalement, par ce que, de mon point de vue, cela amène à une linéarité décousue du film. Je me suis demandé, après coup, pourquoi telle ou telle scène, pourquoi tel ou tel plan apparaissaient. De plus le parallèle suggéré entre l’homosexualité caché du père et celle du fils laisse confusément penser que l’homosexualité serait transmissible. Je me doute que ce n’est pas l’intention de l’auteur, mais c’est pour le moins, maladroit.
Tout à fait d’accord, tant pour Bacri que pour le scenario, que je « sauve » pourtant en y reconnaissant l’expression de la progressive dérive de François. Question homosexualité, c’est vrai que c’est maladroit ; même que François ne fonctionne pas vraiment avec ce genre de catégories… Et si Samuel lui ouvrait simplement de nouvelles perspectives, de nouvelles possibilités ?