Quatre chemins de Parménide

Miro_1965_Goutte_d_eau_1288_04C’est chez Parménide, au Ve siècle avant notre ère, que se joue le tournant vers la pensée philosophique telle qu’on la connaît aujourd’hui ; tournant et pensée philosophique sur lesquels reposent notre vision idéaliste du monde.

Alors que, avant lui, l’enjeu de toute vie était toujours d’écouter, d’expérimenter et d’accompagner le plus productivement possible les mystérieuses forces qui jouent toujours et partout, Parménide nous a mis sur la voie de la pensée ; pour atteindre ce qu’il appelle l’« être » stable et constant, autrement dit, comme l’expose la déesse dans son poème : le « cœur sans tremblement de la vérité bien ronde ». Être, vérité, essence ou cœur sans tremblement, qui ne peut se gagner qu’en s’orientant sur le lógos et le noûs, la logique et la raison.

« C’est une seule et même chose : penser et être », écrit Parménide dans le troisième fragment de son Poème. Ce qui revient à dire – et il s’agit donc là de l’amorce de toute notre tradition – que seul existe, seul est, au sens fort du terme, au sens où il a un être stable et constant, ce que nous pouvons penser. Pour l’exprimer autrement – dans l’autre sens –, tout ce qu’on ne peut pas penser n’est pas : n’a pas d’existence, pas d’être proprement dit. C’est là un tournant énorme, qui a des conséquences qui ne sont pas moins énormes.

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Les quatre chemins de Parménide par Michysos
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Chez Parménide, la sagesse, le savoir (sophía) se déplace de l’expérimentation globale du monde à sa pure pensée logico-rationnelle.

A bien y regarder, son Poème nous présente quatre chemins, qui nous indiquent comment nous comporter dès lors dans le monde.

Le 1er chemin est le plus précieux, mais en même temps le plus rare : il s’agit de celui de l’être stable et constant lui-même, du « cœur sans tremblement de la vérité bien ronde » : vérité plénière, qui comporte en elle tant ce qui est présent (les pareonta) que ce qui est absent (les apeonta). Or ce chemin n’est pas directement accessible à l’homme : il est de l’ordre d’un don, d’un enseignement accordé, à titre tout à fait exceptionnel, par les puissances, les forces divines (en l’occurrence la déesse de la vérité).

Le 2e chemin est beaucoup plus facile à suivre, mais complètement stérile : c’est le chemin non pas de l’être, mais du non-être, du néant, du néant qui fait de tout un néant, autrement dit du néant néantisant. Chemin qu’il faut bien se garder de prendre, si on ne veut pas sombrer dans l’abysse de la mort, qui guette et gronde au fond de tout phénomène.

Le 3e chemin est le nôtre : celui du commun des mortels que nous sommes. Nous pouvons accumuler toutes les connaissances que nous voulons, nous demeurons incapables de voir l’essentiel, de voir et de saisir l’être de ce qui est. Pragmatiques, rivés sur nos seules vues hétérogènes, nos doxai passagères, sur les seules apparences, nous considérons à tort ce qui est présent comme l’être. Nous confondons la succession de ce qui apparaît à la lumière, avec la vérité elle-même. Vérité qui – nous le savons – comporte à la fois ce qui apparaît à la lumière, ce qui est présent ET ce qui se retire dans les profondeurs et se cache dans l’absence. Aussi, même si nous prétendons être proches de la réalité, voire même de la vérité, de l’être stable et constant, nous demeurons des êtres instables, indécis, confus, toujours chahutés d’une vérité à l’autre, de l’être au non-être. Nous nous croyons toujours sur le 1er chemin, celui de l’être, mais voilà que le prétendu être change et sombre dans le néant, et nous devons nous rendre à l’évidence que nous sommes tout autant sur le 2e chemin, à savoir celui du non-être. Tel est notre lot, pas toujours très rigolo d’ailleurs, d’être ballottés sur la mer des opinions.

Mais il existe un 4e chemin, qui est assurément le plus intéressant et le plus instructif : c’est celui du chercheur, du philosophe qui, porté qu’il est par les forces surpuissantes qui le dépassent, aspiré qu’il est par la sagesse, conduit du 3e chemin, c’est-à-dire de la confusion quotidienne, au 1er, soit à l’être, à la vérité.

Si le chercheur, le philosophe se distingue de la plupart, c’est qu’il considère et dévoile toujours l’apparence comme apparence, qu’il est et met toujours en route, à partir de la vue de l’apparence comme apparence, vers l’être. Pour que, peut-être, si les forces divines lui sont favorables, si elles le permettent, pour qu’elles l’instruisent, par-delà sa vie et nos vies de simples mortels.

Allez, qu’on se le dise, mettons-nous en route vers la vérité, pour que vive la phusis – et que ce ne soit pas la catastrophe !

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Un jeudi sur deux, le Dr. Ludovic MietZsche (GRE/CHN/FRA/GER/GBR/USA) vous rappelle quelques fondamentaux de la philosophie traditionnelle. Non sans dévoiler en même temps, dans les plis et replis négligés par notre vision idéaliste, quantité de perspectives cachées.

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