Pessimisme pratique

'Monk by the Sea' Caspar David FriedrichSuite à Platon, au platonisme et ensuite au christianisme, nous sommes tous des optimistes théoriques. Nous sommes tous éduqués à chercher dans l’abstraction théorique le bien suprême. A chaque fois que nous nous mettons à penser, à réfléchir, tout un mécanisme optimiste théorique se met en marche dans notre esprit.

Toujours, nous avons en vue, dans notre tête, un monde idéal : monde sans défaut ni faille, de toute plénitude, à partir duquel nous jaugeons, jugeons et organisons les phénomènes du monde ici et maintenant. Quoi qu’il arrive, nous théorisons la réalité ; nous faisons abstraction des éléments sensibles et traitons les résultats au niveau intelligible.
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Pessimisme pratique par Michysos
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Manière de faire qui, de fil en aiguille, si notre pensée est cohérente, si notre pensée est rigoureuse, nous conduit à croire à une explication logique et rationnelle et morale de toute chose. Nous amène à croire que la connaissance abstraite de la vérité – la théorie, le savoir, la connaissance, la science, la technique – sont capables de tout, sont capables de remédier à tous les maux et finalement d’assurer le bonheur terrestre de tous. A commencer par le nôtre qui, en l’occurrence, nous intéresse au premier chef.

Cet idéal optimiste théorique est devenu si fort, si rassurant, si prometteur, si efficace, qu’on en est venu à oublier qu’il n’est à vrai dire qu’une… fiction : qu’un fantasme né dans l’imagination de Platon.

Non pas une fiction absurde, bien sûr – nos idées, nos croyances, nos structures de pensée, notre science et notre technique ne sont nullement dénuées de sens –, mais une fiction vide, purement théorique, qui fait abstraction de la vérité de la vie ici et maintenant ; qui en retranche tout mouvement, toute évolution, toute perspective, tout ce qui n’entre pas dans nos structures et catégories de raison figées. Fantasme qui s’avère somme toute être un dangereux fourvoiement vis-à-vis de la vie. Comme dit Nietzsche : « Une vision du monde dévoyée et optimiste déchaîne à la fin toutes les abominations » (NT, 15).

Alors que l’enjeu de l’optimisme théorique est justement de se protéger du tragique de l’existence, de vivre dans le bonheur perpétuel de tous, il déchaîne finalement le malheur généralisé. En élevant au rang de principe l’optimum, le bien suprême, l’idéal, en fondant sur lui toutes nos pensées, nos espérances, nos actions, en cherchant à reproduire cet idéal dans le sensible, nous faisons fausse route. Nous négligeons, écartons, engloutissons, emprisonnons, stérilisons tout un pan de la vie : celui de sa ressource-même.

Procédant de la sorte, nous créons un déséquilibre, qui a pour conséquence la révolte. La vie continue en effet par tous les moyens à chercher à se libérer. Par la violence, s’il le faut : le déclin, les maladies, les accidents, les séparations, la mort, le terrorisme, même, n’est rien d’autre que des moyens que trouve la vie pour rétablir – par la révolte – l’équilibre perdu.

Et voilà que la souffrance et la mort font retour, éclatent au grand jour, plus que jamais, elles dont on voulait justement se débarrasser. Et, voilà que, de l’optimisme théorique, on tombe dans la contre position extrême, à savoir dans le pessimisme pratique : on tire la conséquence du fait que, contrairement à la vie théorique, la vie pratique, avec ses va-et-vient, ses déchirements, ses douleurs est en son essence, non pas de l’ordre de l’optimum, du plus grand bien, mais du pessimum, du plus grand mal.

Conséquence pratique qui consiste à baisser les bras, à jeter l’éponge, à sombrer dans la dépression : à être travaillé par la volonté de mettre fin à ses jours, sinon à ceux de ses congénères. Tel est ce qu’enseigne la cruelle et terrible sagesse populaire de Silène, qui peut survenir n’importe où dans le monde, et n’importe quand, à n’importe quelle période de la vie, tel un souffle pestilentiel qui emporte toute vie sur son passage.

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Un jeudi sur deux, le Dr. Ludovic MietZsche (GRE/CHN/FRA/GER/GBR/USA) vous rappelle quelques fondamentaux de la philosophie traditionnelle. Non sans dévoiler en même temps, dans les plis et replis négligés par notre vision idéaliste, quantité de perspectives cachées.

Retrouvez la chronique précédente ici.

3 Comments

  1. Merci Dr. MietZsche pour ce nouvel article instructif. Qui me laisse vous poser deux questions:
    – Est-ce que l’expression « c’est pratique! » a un quelconque rapport avec ce qui précède? Ou n’est-elle qu’une idiotie théorique au regard de la vie… pratique, qui se joue dans l’ici et le maintenant (au sens où en disant cela, on ferait justement abstraction de la vie pratique ici et maintenant)?
    – Question… pratique: comment réapprendre à l’aimer, cette vie pratique que nous tendons à fuir par tous les moyens?

  2. L’opposition « théorique vs pratique » est elle-même déjà – comme toute opposition –, issue de l’abstraction théorique. Si le « pratique » est pensé en fonction du « théorique », comme l’autre du théorique, il est forcément erroné.

    Pour réapprendre à aimer la vie… « tragique » (comme il convient de l’appeler, pour éviter toute ambiguïté), il s’agit de s’y plonger et de s’élever au-dessus des oppositions traditionnelles, par-delà l’optimisme théorique et le pessimisme pratique.

    Il se peut que ma prochaine contribution aille dans ce sens.

    Best wishes as always
    from your L.M.

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