Dixième leçon du long prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes.
Vous voulez atteindre des sommets, vous élever dans les hauteurs ? Servez-vous de vos propres jambes ! Ne vous laissez pas porter, ne vous asseyez pas sur le dos des autres : ne profitez ni de la force ni de l’intelligence d’autrui ! Soyez votre propre maître et serviteur !
Comment ? Toi, tu as grimpé sur le dos d’un cheval ? Te voilà qui galopes désormais, sans effort, aussi pressé que content vers ton but ? Bien, mon ami, c’est ton choix ! Mais attention : ton pied maladroit, paralysé, qui généralement t’empêche, est lui aussi assis sur ton cheval !
Tu verras, quand tu arriveras à ton but, quand tu auras atteint les sommets que tu convoites, quand alors, tu sauteras de ton cheval : là -haut, sur ta hauteur, justement, toi, l’homme supérieur, tu vas trébucher ! Bien sûr, tu es arrivé bien haut ; bien sûr, en te laissant porter là -haut, tu t’es épargné maints efforts, tu as bénéficié de maints avantages, tu as atteint ton but, mais tu as manqué d’entraîner tes jambes. Tu verras, elles auront tôt fait de te remettre à l’ordre. Tu verras, tu vas trébucher : tes jambes vont de te renvoyer au niveau qui est le tien.
Telle est la dixième des vingt leçons de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Vous voulez vous élever dans les hauteurs, servez-vous de vos propres jambes ! Ne vous laissez pas porter là -haut, ne vous asseyez pas sur des dos et têtes étrangers !
Mais toi, tu es monté à cheval ? Tu galopes désormais pressé vers ton but ? Bien, mon ami ! Mais ton pied paralysé est lui aussi à cheval !
Quand tu es à ton but, quand tu sautes de ton cheval : sur ta hauteur, justement, toi, homme supérieur, – tu vas trébucher !
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Il s’agit ci-dessus de la dixième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.
La seule exigence de l’homme, c’est la marche.