Vous ne savez pas quoi faire en face d’une œuvre d’art ? Commencez par l’expérimenter au mieux : plonger dans elle, vous unir à elle, vous fondre en elle, vous confondre avec elle, l’incorporer. Laissez ensuite jaillir les lumières, les ombres, les sons, les sensations qu’elle génère. En toute cohérence.
Pour partager votre expérience avec un public avisé, cultivé, il convient d’être raisonnable et clair. Préparée par l’ancien prof de gymnase et enseignant à l’uni que je suis, la méthode ci-dessous vous donne quelques trucs. Prévue pour des textes, elle est à vrai dire utilisable pour tout type d’œuvre.
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1. Introduction
a) Présentation générale : dire quelques mots de l’auteur, en attirant l’attention sur les événements biographiques et bibliographiques qui pourraient être en rapport avec (la partie de) l’œuvre en question. Ne pas manquer d’indiquer en outre, si possible, à quelle « école », quel mouvement il se rattache.
b) Situation de l’œuvre dans son contexte : résumer ce qui (la) précède, en ne s’arrêtant bien entendu que sur ce qui est nécessaire à la compréhension de celle-ci.
c) Lexique : expliquer les noms propres, historiques, géographiques, mythologiques, les mots rares, ainsi que les termes pris dans un sens particulier. Elucider les difficultés de lecture dues à la syntaxe.
d) Analyse : en grec, l’analyse est affaire de la dianoia, de la pensée distinctive, qui décompose puis synthétise. Elle se définit comme l’opération intellectuelle de diviser une chose en sa structure essentielle afin d’en saisir les rapports et de donner son schéma d’ensemble. Dans l’analyse, il s’agit d’abord de subdiviser l’œuvre en parties et sous-parties (en observant les liaisons, connections logiques, personnages, etc.), puis d’en dévoiler le contenu, le sens littéral par un résumé succinct (un titre). L’analyse mène à une première compréhension, factuelle, nue, froide du texte, base indispensable de son interprétation.
2. Interprétation
En latin, interpretatio signifie explication, traduction, l’action de démêler, de décider. L’interprétation consiste en l’explicitation de ce qui a été précédemment analysé. Elle donne une signification claire à ce qui est a priori obscur, ambigu. Elle est le commentaire du sens littéral découvert par l’analyse. Il s’agit d’abord d’accompagner les notions, les thèmes, l’élan de l’œuvre, avant de les dépasser critiquement.
L’analyse a permis de mettre le doigt sur les champs lexicaux et thèmes principaux. Ceux-ci sont désormais à cerner et développer. Il s’agit donc de prolonger interprétativement l’analyse, sans hésiter à rattacher ce qui a été gagné à l’ensemble de l’œuvre. Il convient aussi d’étudier les images, les métaphores, et autres moyens dont se sert l’auteur pour soutenir son propos.
L’analyse structurelle a montré comment ces thèmes s’enchaînent (ou ne s’enchaînent pas…), se défendent ou se contredisent. Il convient désormais également d’étudier, à la lumière des thèmes, l’argumentation, — qu’elle soit manifeste ou sous-jacente, simplement suggérée par des jeux de scènes, des allusions, des symboles, etc. Il faut ici être particulièrement fin et attentif aux ruses de l’auteur. Toujours en partant du principe — sans toutefois dépasser les bornes d’une certaine vraisemblance — que rien n’est jamais laissé au hasard, et que tout signifie.
L’analyse des thèmes et de leurs relations débouche finalement sur une présentation des enjeux, des « grandes idées » (philosophiques, politiques, religieuses, morales, littéraires, esthétiques etc.).
3. Style
En poésie, il convient d’étudier la mise en page, la typographie, la répartition des strophes et des rimes, découvrir les assonances, les rimes intérieures, les effets musicaux, syntaxiques, etc. Et comment tout cela contribue au sens du poème.
En prose, il s’agit de recourir à l’analyse lexicale et étudier le niveau de langage. On peut faire de même avec la syntaxe, en essayant de trouver quelle a été l’intention de l’auteur : persuader, invectiver, raconter, s’extasier, disserter, badiner, consoler, attrister etc. Ainsi parvient-on à définir le style et le ton. Il va sans dire que la confrontation du style et du contenu peut être riche de sens : le style est-il adapté au contenu ? Ne l’est-il pas ? Qu’en déduire ?
4. Conclusion
Il s’agit, lors de la conclusion, de serrer l’étau : rassembler les points essentiels de l’analyse et de l’interprétation, faire ressortir les enjeux. On peut également insister sur les perspectives qui s’ouvrent, tant sur les personnages, l’œuvre, l’époque, que la vie en général.