« VOUS REGARDEZ VERS LE HAUT, quand vous exigez de la hauteur, pour vous fixer un but. Et moi je regarde en bas, parce que je suis élevé, parce que je suis déjà en hauteur.
Qui dâentre vous peut en mĂȘme temps rire et ĂȘtre Ă©levé ?
Celui qui grimpe sur la plus haute montagne rit de tous les jeux de deuil et sérieux de deuil. »
Zarathoustra, « De lâĂ©criture et de la lecture » (I, 7)
*
Câest sur le coup de minuit que Zarathoustra a pris son chemin par-dessus la crĂȘte de lâĂźle. Il est parti au milieu de la nuit pour arriver au petit matin sur lâautre rive : car câest lĂ , de lâautre cĂŽtĂ© de la montagne, quâil voulait embarquer vers de nouveaux horizons. Il y avait en effet lĂ une bonne rade, oĂč non seulement des bateaux de la rĂ©gion, mais aussi Ă©trangers, venaient jeter lâancre. Des embarcations qui emmenaient quantitĂ© de personnes voulant traverser la mer depuis les Ăźles bienheureuses. Chemin faisant, en grimpant sur la montagne, Zarathoustra sâest rappelĂ© les nombreux voyages solitaires de sa jeunesse, et combien de montagnes, de crĂȘtes et de sommets il a dĂ©jĂ gravis jusquâici.
Je suis un voyageur et un alpiniste, a-t-il dit Ă son cĆur. Je nâaime pas les plaines. Il semble mĂȘme que je suis tout simplement incapable de rester longtemps assis.
Quâimportent les expĂ©riences que me rĂ©serve mon destin, elles seront toutes marquĂ©es par des voyages et des ascensions de montagne. Il nây a rien Ă faire : en Ă©tant fidĂšle Ă soi, on finit toujours par ne sâexpĂ©rimenter que soi-mĂȘme.
Le temps oĂč des hasards pouvaient encore me toucher est dĂ©sormais rĂ©volu. A force de me plonger dans les choses et la vie, de participer Ă plein au va-et-vient des phĂ©nomĂšnes, plus rien ne mâĂ©tonne aujourdâhui. Je doute quâil y ait encore quelque chose qui pourrait, maintenant, mâarriver qui nâest pas dĂ©jĂ mien, qui nâest pas dĂ©jĂ mon propre !
Mon moi le plus propre a certes longtemps Ă©tĂ© dispersĂ© dans le lointain, parmi toutes les choses et tous les hasards, mais voilĂ un moment quâil ne fait toujours que revenir, revenir chez lui, Ă la maison, vers la vie qui lui est la plus propre.
Cela, je le sais. Tout comme je sais que je me trouve maintenant devant mon dernier sommet, ma derniĂšre ascension ; celle qui mâest rĂ©servĂ©e depuis le plus longtemps. Ah, pourquoi sâen cacher : je dois mâattaquer au plus dur de mes chemins ! Câest comme ça : jâai commencĂ© mon voyage le plus solitaire ! Si tous mes voyages ont Ă©tĂ© pĂ©nibles, tellement ils ont Ă©tĂ© solitaires, celui qui vient sera incontestablement le pire.
Mais quiconque est comme moi, du mĂȘme genre, de la mĂȘme espĂšce que moi, ne peut Ă©chapper Ă une telle heure : une telle heure qui lui parle en ces termes : « Tu as beau avoir fait mille voyage, tu as beau tâĂȘtre Ă©levĂ© de mille façons, tout ce que tu as fais jusquâici nâest rien ; ce nâest que maintenant que tu prends le chemin de la grandeur ! Hauteur et profondeur, sommet et abĂźme â voilĂ qui, maintenant, ne font plus quâun !
Tu avances sur ton chemin de la grandeur : ce qui, jusquâĂ ce jour, te faisait le plus peur, ce qui sâappelait ton dernier danger, ton ultime danger â la plus grande solitude, la plus grande hauteur, la plus grande profondeur â, tout cela est dĂ©sormais ton ultime refuge !
Tu avances sur ton chemin de la grandeur : câest le fait de savoir que tu nâas plus de chemin derriĂšre toi, quâil tâest dĂ©sormais impossible de reculer, qui doit dĂ©sormais te donner le plus de courage !
Tu avances sur ton chemin de la grandeur : ici, personne ne doit te suivre Ă la trace ! Ton pied lui-mĂȘme a effacĂ© derriĂšre toi ton chemin ; et au-dessus de lui, il est Ă©crit : « Impossibilité ». Ton chemin nâest quâĂ toi ; pour tous les autres, il est tout bonnement impossible.
Et sâil te manque Ă prĂ©sent les Ă©chelles dont tu pouvais te servir auparavant pour tâĂ©lever, alors tu dois apprendre Ă grimper sur ta propre tĂȘte. Comment, sinon, voudrais-tu grimper vers les hauteurs ?
Tu dois encore apprendre Ă surmonter ta propre tĂȘte et ton propre cĆur ! Le plus doux, le plus tendre en toi doit maintenant encore devenir le plus dur, ta base la plus solide.
Quiconque sâest toujours beaucoup mĂ©nagĂ© finit par tomber malade Ă force de mĂ©nagements. LouĂ© soit ce qui rend dur ! Loin de moi lâidĂ©e de louer le pays de la facilitĂ© et de lâagrĂ©able, oĂč le beurre et le miel coulent Ă flots ! Les gens y sont rendus mous.
Pour voir beaucoup de choses, il faut apprendre Ă dĂ©tourner les yeux de soi et de son confort : ĂȘtre dur vis-Ă -vis de soi-mĂȘme, sâoublier soi-mĂȘme pour se donner et se laisser prendre par les choses. Cette duretĂ© est indispensable pour quiconque ne veut pas rester en plaine, mais veut gravir des montagnes.
Comment le chercheur qui ne mise que sur ses yeux â et qui donc oublie et nĂ©glige ses autres organes et sens â, comment pourrait-il dĂ©passer le premier plan des choses quâil regarde ! Impossible.
Mais toi, oh Zarathoustra, contrairement Ă la plupart, tu a toujours voulu regarder non seulement le premier plan, mais aussi lâarriĂšre-plan des choses. Tu ne tâes jamais contentĂ© de la surface. Raison pour laquelle tu dois te surmonter, grimper par-dessus toi-mĂȘme, vers le haut, lĂ -haut, tout en haut, tellement haut que mĂȘme tes Ă©toiles soient finalement au-dessous de toi !
Oui : regarder en bas, sur moi-mĂȘme ; regarder en bas jusque sur mes Ă©toiles qui normalement brillent lĂ -haut, au firmament, et me poussent Ă grimper vers les hauteurs : tel est, seul, ce qui sâappelle mon but, mon sommet ; telle est ce qui mâĂ©tait encore rĂ©servĂ© comme ultime sommet !
*
VoilĂ comment Zarathoustra sâest parlĂ© alors quâil grimpait, en pleine nuit, sur la montagne de lâĂźle bienheureuse. Son cĆur, plus blessĂ© que jamais auparavant, avait bien besoin dâĂȘtre consolĂ© par de tels durs petits dictons. Une fois arrivĂ© Ă la hauteur de la crĂȘte de la montagne, dâun coup, regarde !, lâautre mer sâest trouvĂ©e Ă©tendue devant lui. Zarathoustra est alors restĂ© longtemps debout, immobile et en silence ; son ancienne mer derriĂšre lui, la nouvelle devant. La nuit nâĂ©tait pas seulement claire et Ă©toilĂ©e, mais Ă©galement froide ; normal, Ă cette altitude.
Je reconnais mon sort, a-t-il dit enfin avec tristesse. Allez ! Je suis prĂȘt, jây vais. Ma derniĂšre solitude vient de commencer.
Ah, cette noire et triste mer au-dessous de moi ! Ah, cette humeur chagrine, grosse de nuit ! Ah, mon destin et ma mer ! Il me faut descendre vers vous !
Je me trouve devant ma plus haute montagne et devant mon plus long voyage : câest pourquoi je dois dâabord descendre plus bas que je ne suis jamais descendu.
Descendre plus bas que jamais dans la douleur, jusque dans ses flots les plus noirs ! VoilĂ ce que veut mon destin. Allez ! Jây vais, je suis prĂȘt.
Jadis, je demandais dâoĂč viennent les plus hautes montagnes ? Avec le temps, jâai appris quâelles venaient des mers les plus profondes. Il nây a pas de haute montagne qui ne provienne dâune profonde mer.
La preuve en est inscrite dans la roche et les parois des sommets des montagnes eux-mĂȘmes. Câest vrai pour tout : câest des plus grandes profondeurs que doivent Ă©merger les plus grandes hauteurs. Sinon, ce ne sont que des prĂ©tendues hauteurs, des hauteurs superficielles, dâapparence, sans profondeur.
*
VoilĂ comment Zarathoustra sâest parlĂ©, dans le froid du sommet de la crĂȘte. Puis il sâest remis en route, pour rejoindre le bord de mer. Une fois descendu, arrivĂ© prĂšs de la mer, seul sous les falaises, il sâest non seulement trouvĂ© fatiguĂ© par son cheminement, mais plus nostalgique, plus triste et dĂ©sireux encore quâauparavant.
Tout dort encore maintenant, a-t-il dit. La mer aussi dort encore. Ivre de sommeil, son Ćil me regarde comme un Ă©tranger.
Mais elle respire chaudement, je le sens. Et je sens aussi quâelle rĂȘve. Oui, elle se tord en rĂȘvant sur de durs coussins.
Ecoute ! Ecoute comme elle gĂ©mit, la pauvre, en se rappelant de mauvais souvenirs ! Ou penserait-elle Ă de mauvaises espĂ©rances ? RĂȘve-t-elle du passé ? Ou de lâavenir ? Ou des deux Ă la fois ?
Ah, sombre monstre, je suis comme toi ; je suis triste avec toi. Et je mâen veux encore dâĂȘtre triste Ă cause de toi.
Ah, dommage que ma main soit si faible ; dommage que je nâaie pas la force de tâaider ! Car câest volontiers, volontiers, vraiment, que jâaimerais te libĂ©rer de tes mauvais rĂȘves !
*
Et en parlant ainsi, Zarathoustra riait en mĂȘme temps avec mĂ©lancolie et amertume. Quoi ! Zarathoustra ! Ăa ne va pas ?, a-t-il dit, tu ne vas quand mĂȘme pas te mettre Ă chanter pour consoler la mer ?
Ah, aimable bouffon que tu es, Zarathoustra, tu es tellement bĂ©at de confiance ! Câest vrai, tu as toujours Ă©tĂ© comme ça : tu as toujours Ă©tĂ© plein de confiance pour tout, y compris envers ce qui ne mĂ©rite aucune confiance, et mĂȘme envers ce qui est affreux.
Oui, chaque monstre, tu as encore voulu le caresser. Tu sens un souffle dâhaleine chaude, quelques touffes de poils tendres Ă une patte â et hop : voilĂ que tu es dĂ©jĂ prĂȘt Ă aimer le monstre et Ă lâattirer vers toi.
Lâamour, oui lâamour est le danger des plus solitaires ; lâamour de nâimporte quoi, pourvu que ce soit quelque chose de vivant ! Je suis un Ă©trange bouffon en matiĂšre dâamour ; dâune Ă©trange modestie. En vĂ©ritĂ©, je suis ridicule, risible, mais je ne peux faire autrement ! Telle est ma nature : jâaime.
*
VoilĂ comment a parlĂ© Zarathoustra en riant une nouvelle fois. Puis il sâest tout Ă coup souvenu de ses amis quâil sâest vu contraint dâabandonner. Alors, comme si, par sens pensĂ©es, il sâĂ©tait mal conduit avec eux, il sâest soudain vu irritĂ©. Et il nâa pas fallu attendre longtemps que le rieur arrĂȘte de rire et se mette Ă pleurer. Oui, Zarathoustra a tĂŽt fait de se mettre Ă pleurer amĂšrement, en mĂȘme temps de colĂšre et de nostalgie, de tristesse et de dĂ©sir.
***
Traduction littérale
« Vous regardez vers le haut, quand vous exigez de la hauteur. Et moi je regarde en bas, parce que je suis élevé.
Qui dâentre vous peut en mĂȘme temps rire et ĂȘtre Ă©levé ?
Celui qui grimpe sur la plus haute montagne rit de tous les jeux de deuil et sérieux de deuil. »
Zarathoustra, « De lâĂ©criture et de la lecture » (I, 7)
Câest Ă minuit que Zarathoustra a pris son chemin par-dessus la crĂȘte de lâĂźle, pour arriver avec le petit matin sur lâautre rive : car câest lĂ quâil voulait embarquer. Il y avait en effet lĂ une bonne rade, oĂč les bateaux Ă©trangers aimaient aussi jeter lâancre ; ils en emmenaient plus dâun qui voulaient traverser la mer depuis les Ăźles bienheureuses. Quand Zarathoustra grimpait ainsi la montagne, il sâest rappelĂ©, chemin faisant, les nombreux voyages solitaires de sa jeunesse, et combien de montagnes et de crĂȘtes et de sommets il a dĂ©jĂ gravis.
Je suis un voyageur et un alpiniste, a-t-il dit Ă son cĆur, je nâaime pas les plaines, et il semble que je ne puisse pas rester longtemps assis.
Et quoi quâil mâarrive encore comme destin et expĂ©rience, â il y aura toujours un voyage et une ascension de montagne : on ne sâexpĂ©rimente finalement plus que soi-mĂȘme.
Le temps est Ă©coulĂ© oĂč des hasards pouvaient encore me rencontrer ; et que pourrait maintenant encore mâarriver qui ne serait pas dĂ©jĂ mon propre !
Il ne fait que revenir, il me revient enfin à la maison â mon propre moi, et ce qui de lui a longtemps Ă©tĂ© dans le lointain et dispersĂ© parmi tous les choses et hasards.
Et je sais encore une chose : je me trouve maintenant devant mon dernier sommet et devant ce qui mâa Ă©tĂ© le plus longtemps prĂ©servĂ©. Ah, je dois mâattaquer Ă mon plus dur chemin ! Ah, jâai commencĂ© mon voyage le plus solitaire !
Mais qui est de mon espĂšce nâĂ©chappe pas Ă une telle heure : lâheure qui lui parle ainsi : « Ce nâest que maintenant que tu prends le chemin de la grandeur ! Sommet et abĂźme â cela ne fait maintenant quâun !
Tu avances sur ton chemin de la grandeur : ce qui jusquâici sâappelait ton dernier danger est dĂ©sormais devenu ton dernier refuge !
Tu avances sur ton chemin de la grandeur : cela doit dĂ©sormais ĂȘtre ton meilleur courage, le fait de savoir que tu nâas plus de chemin derriĂšre toi !
Tu avances sur ton chemin de la grandeur : ici, personne ne toit de suivre discrĂštement Ă la trace ! Ton pied lui-mĂȘme a effacĂ© derriĂšre toi le chemin, et au-dessus de lui il est Ă©crit : impossible.
Et sâil te manque Ă prĂ©sent toutes les Ă©chelles, tu dois encore apprendre Ă grimper sur ta propre tĂȘte : comment sinon voudrais-tu grimper vers les hauteurs ?
Sur ta propre tĂȘte et par-delĂ ton propre cĆur ! Le plus doux en toi doit maintenant encore devenir le plus dur.
Quiconque sâest toujours beaucoup mĂ©nagĂ© finit par tomber malade de son nombreux mĂ©nagement. Que soit louĂ© ce qui rend dur ! Je ne loue pas le pays oĂč le beurre et le miel â coulent !
Pour voir beaucoup, il est nĂ©cessaire dâapprendre Ă dĂ©tourner les yeux de soi : â cette duretĂ© est nĂ©cessaire Ă chaque gravisseur de montagnes.
Mais celui qui, en tant que chercheur, est importun avec les yeux, comment pourrait-il voir plus des choses que leurs premiers plans !
Mais toi, oh Zarathoustra, tu voulais regarder de toute chose le premier plan et lâarriĂšre-plan : tu dois bien ainsi grimper par-dessus toi-mĂȘme, â vers le haut, lĂ -haut, jusque ce que tu aies tes Ă©toiles mĂȘmes au-dessous de toi !
Oui ! Regarder en bas sur moi-mĂȘme et mĂȘme sur mes Ă©toiles : cela seul sâappellerait pour moi mon sommet, cela mâĂ©tait encore rĂ©servĂ© comme mon dernier sommet ! â
*
Ainsi sâest parlĂ© Zarathoustra Ă lui-mĂȘme en grimpant, consolant son cĆur par de durs petits dictons : car son cĆur Ă©tait blessĂ© plus que jamais auparavant. Et quand il est arrivĂ© Ă la hauteur de la crĂȘte de la montagne, regardez, lâautre mer sâĂ©tendait devant lui : et il est restĂ© longtemps debout, immobile et en silence. Mais la nuit Ă©tait froide Ă cette altitude et claire et Ă©toilĂ©e.
Je reconnais mon sort, a-t-il dit enfin avec tristesse. Allez ! Je suis prĂȘt. Ma derniĂšre solitude vient de commencer.
Ah, cette noire et triste mer au-dessous de moi ! Ah, cette humeur chagrine, nocturne enceinte ! Ah, destin et mer ! Je dois descendre vers vous !
Je me trouve devant ma plus haute montagne et devant mon plus long voyage : câest pourquoi je dois dâabord descendre plus bas que je ne suis jamais descendu :
â plus bas dans la douleur que je ne suis jamais descendu, jusque dans ses flots les plus noirs ! VoilĂ ce que veut mon destin : Allez ! Je suis prĂȘt.
DâoĂč viennent les plus hautes montagnes ? VoilĂ ce que jâai demandĂ© jadis. Jâai alors appris quâelles viennent de la mer.
Ce tĂ©moignage est Ă©crit dans sa roche et dans les parois de ses sommets. Câest du plus profond que le plus haut doit venir Ă sa hauteur. â
*
Ainsi sâest parlĂ© Zarathoustra au sommet de la montagne, oĂč il faisait froid : mais quand il est arrivĂ© prĂšs de la mer et sâest trouvĂ© finalement tout seul sous les falaises, son chemin lâavait rendu fatiguĂ© et plus ardent quâencore auparavant.
Tout dort encore maintenant, a-t-il dit ; la mer aussi dort. Ivre de sommeil et Ă©trangĂšre me regarde son Ćil.
Mais elle respire chaudement, cela je le sens. Et je sens aussi quâelle rĂȘve. Elle se tord en rĂȘvant sur de durs coussins.
Ecoute ! Ecoute ! Comme elle gémit des mauvais souvenirs ! Ou des mauvaises espérances ?
Ah, je suis triste avec toi, toi sombre monstre, et je mâen veux encore Ă cause de toi.
Ah, que ma main nâait pas assez de force ! Volontiers, vraiment, jâaimerais te libĂ©rer des mauvais rĂȘves ! â
*
Et en parlant ainsi, Zarathoustra riait avec mélancolie et amertume. Comment ! Zarathoustra ! A-t-il dit, veux-tu encore chanter pour consoler la mer ?
Ah, aimable bouffon que tu es, Zarathoustra, toi le trop béat de confiance ! Mais tu as toujours été comme ça : tu es toujours venu rempli de confiance vers tout ce qui est affreux.
Tu as encore voulu caresser chaque monstre. Un souffle dâhaleine chaude, quelques touffes de poils tendres Ă la patte : â et dĂ©jĂ tu Ă©tais prĂȘt Ă lâaimer et Ă lâattirer.
Lâamour est le danger des plus solitaires, lâamour de toute chose, pour autant quâelle vive ! Ma bouffonnerie et ma modestie en amour fait en vĂ©ritĂ© rire ! â
*
Parole de Zarathoustra riant une nouvelle fois : mais il sâest alors souvenu de ses amis abandonnĂ©s â, et comme si, avec ses pensĂ©es, il sâĂ©tait mĂ©conduit avec eux, il sâest irritĂ© de ses pensĂ©es. Et bientĂŽt il sâest trouvĂ© que le rieur pleurait : â Zarathoustra pleurait amĂšrement, de colĂšre et de nostalgie.
***
Il sâagit lĂ de la suite de la retraduction commentĂ©e et littĂ©rale du Zarathoustra de Nietzsche. Premier chapitre de la « TroisiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra ». Les prĂ©cĂ©dents se trouvent ici.