Huitième leçon du long prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes.
Prenez garde de ne pas vivre au-dessus de vos moyens, de ne rien vouloir qui soit au-dessus de vos possibilités ! Soyez honnêtes envers vous-mêmes, authentiques : soyez ceux que vous pouvez. Il existe une grave fausseté chez ceux qui veulent plus qu’ils peuvent, qui ont les yeux plus grands que le ventre. Particulièrement quand ils veulent de grandes choses, quand ils visent les sommets : ils éveillent la méfiance à leur égard, ces subtiles faux-monnayeurs et comédiens !
Bien sûr, ils s’engagent, mais de manière inauthentique, en faisant semblant. Ils trichent, ces subtiles faux-monnayeurs ; jusqu’à ce qu’ils échouent dans leur entreprise, jusqu’à ce qu’ils se reconnaissent eux-mêmes comme les faux-monnayeurs et comédiens qu’ils sont, ils font semblant : ils ont les yeux qui louchent, ils sont du bois vermoulu, joliment vernis ; ils n’ont de cesse de tricher, de se recouvrir d’un manteau d’apparat, de se cacher derrière des mots forts et avisés, de se parer de vertus et d’œuvres brillantes, alors que tout ça est faux, tricherie, imposture, malhonnêteté.
Soyez prudents, vous autres hommes supérieurs ! Si vous voulez effectivement cheminer avec moi en direction du surhomme, efforcez-vous de repousser vos limites, oui, faites tout pour vous dépasser, vous surmonter, mais gardez-vous de ne jamais dépassez vos limites, de ne jamais voguer au-delà de ce que vous pouvez, de ce qui vous est imparti ! Rien n’est m’est aujourd’hui plus précieux et plus rare que l’honnêteté. Rien n’est aujourd’hui, pour le cheminement de l’homme vers le surhomme, plus précieux et plus rare que l’authenticité.
Honnêteté et authenticité tant mises à mal aujourd’hui, dans notre monde où règne la populace. N’est-ce pas elle, la populace, la nombreuse populace qui décide de tout ? Elle qui pourtant ne sait pas ce qui est grand, ce qui est petit, ce qui est droit, ce qui est honnête et authentique ? Elle qui, sans le vouloir, va où le vent la pousse ; elle qui, sans même le savoir, est toujours tordue, toujours fourbe, toujours menteuse ; elle qui veut toujours plus qu’elle ne peut, qui vit toujours au-dessus de ses moyens et qui, par là, dévalorise tout ce qui est grand, tout ce qui est rare, tout ce qui est élevé.
Telle est la huitième des vingt leçons de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Ne voulez rien qui soit au-dessus de votre pouvoir : il existe une grave fausseté chez ceux qui veulent au-delà leur pouvoir.
En particulier quand ils veulent de grandes choses ! Car ils éveillent la méfiance à l’égard des grandes choses, ces subtiles faux-monnayeurs et comédiens : –
– jusqu’à ce qu’ils soient enfin faux devant eux-mêmes, avec les yeux qui louchent, bois vermoulu et verni, recouvert d’un manteau de mots forts, de vertus de parade, de brillantes fausses œuvres.
Ayez là une bonne prudence, vous autres hommes supérieurs ! Car rien n’est m’est aujourd’hui plus précieux et plus rare que l’honnêteté.
Cet aujourd’hui n’est-il pas celui de la populace ? Mais la populace ne sait pas ce qui est grand, ce qui est petit, ce qui est droit et honnête : elle est innocemment tordue, elle ment toujours.
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Il s’agit ci-dessus de la huitième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.
Il y a un mépris incroyable chez Nietzsche pour celui qui ne fait pas d’efforts. Mais chacun a-t-il la capacité d’en faire?
Explicitement, Nietzsche méprise ici celui qui évolue au-dessus de se moyens. Question efforts, je dirais : tout le monde est non seulement capable d’en faire, mais en fait aussi tout le temps ; sinon pour sa survie, pour repousser, voire (à tort) dépasser ses limites. Si l’homme ne fait pas d’efforts, ou ne les fait pas dans le bon sens, il n’est plus vraiment un homme, mais un consommateur, un imposteur : au lieu de cheminer vers le surhomme, il régresse à l’animal – et/ou à la machine. Tout l’enjeu est de faire les « bons » efforts dans la « bonne » direction : selon Nietzsche le surhomme.
Merci pour ta réponse!