Genèse de l’idée

Platon indique le ciel des idéesTOUTE PLANTE EST PRISE PAR UNE MYSTÉRIEUSE FORCE intérieure, qui la pousse à sortir de l’ombre et à venir à la lumière : à se déployer, à croître, à s’ouvrir à partir de ses racines, de ses profondeurs cachées.

Un jour, il y a très longtemps, en Grèce, apparaît une plante un peu spéciale, démesurément assoiffée de lumière et de force. Après s’être déployée jusqu’à son stade d’éclosion et de beauté maximales – celui de la plus grande tension entre l’apparaître et le disparaître, l’ouverture et le retrait –, elle se met soudain à refuser la cruelle et tragique vérité de l’existence : celle de la nécessaire stagnation et de l’inéluctable déclin des phénomènes.

Toujours assoiffée de lumière, elle en vient à négliger ses ressources, perdre l’équilibre et à tomber malade. Voulant que son éclosion, son ouverture, sa beauté, sa puissance ne cesse de croître, elle est prête à tout pour gagnerla lumière la plus claire, la plus pure, dénuée de toute ombre et de tout changement. Au point de s’émanciper de la terre.

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Genèse de l’idée par Michysos
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Vous l’avez sûrement compris, cette plante n’est pas vraiment une plante – une plante ne ferait jamais ça –, mais bien plus, un être humain : un homme qui a pour folie de vouloir plus de lumière, plus de stabilité, plus de beauté, plus de puissance que celles qui lui reviennent en tant qu’homme. Il s’agit à vrai dire de Platon, le fondateur de notre vision du monde et tradition de pensée.

Assoiffé qu’il est de lumière, il en vient à négliger ses racines, et à oublier qu’elles sont les ressources mêmes de la vie. Obsédé par sa quête de pureté et de brillance, il se met à contempler la lumière à son stade d’éclosion le plus puissant, la lumière suprême : celle du soleil. Soleil qui a tôt fait de lui brûler les yeux.

Il n’y a rien à faire, la vie est comme ça : si on exagère, si on met son équilibre, son harmonie en péril, on finit toujours par le payer. Tôt ou tard.

Mais ce n’est pas là encore assez pour la plante assoiffée de lumière qu’est Platon. En plus d’être malade, Platon est également opiniâtre – comme le sont d’ailleurs volontiers les gens déséquilibrés. Le fait qu’il devienne aveugle ne suffit nullement à lui faire abandonner sa soif de lumière. Bien au contraire : sa passion s’en trouve même redoublée. Tout le monde l’a expérimenté un jour : en cas d’urgence, dans une situation de crise, on est amené à trouver, à canaliser, à invoquer et à déployer des forces inimaginables, surpuissantes. Et c’est bien là ce que fait Platon.

Pour pallier la totale obscurité dont il est la proie, pour parer à la perte de sa vue sensible, Platon est contraint de miser sur autre chose, la seule qui lui reste : sa raison ou vue de l’esprit. Avec pour conséquence que celle-ci gagne en puissance, devienne hypertrophique. Et voilà que celle-ci lui offre ce dont il a toujours rêvé, ce à quoi il a toujours aspiré : de pouvoir vivre et contempler en toute quiétude les choses dans leur plus pure stabilité et lumière.

C’est ainsi que naissent, dans sa tête, en Grèce ancienne, en réaction à sa faiblesse, les idées. Idées abstraites, arrachées de tout sol, en ce sens méta-physiques. Idées qui forment tout un monde : monde idéal aujourd’hui devenu, à grand renfort de science et de technique, le modèle et la mesure de toute vie.

Vous avez compris l’enjeu : prenons garde de ne pas rejouer à notre tour l’erreur de Platon, de ne pas répondre à notre soif de lumière en nous aveuglant ou en nous laissant aveugler par de simples idées. Qu’on se le dise : en aspirant à l’idéal, on s’arrache de la terre, se déracine – et provoque quantité de dangereux déséquilibres, qu’on finit par payer tôt ou tard. En dehors de nous, mais aussi en nous.

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