Hopital de MartiguesCoupable QJ’étais aux urgences il y a quelques jours pour des douleurs intenses, apparues brutalement, sans raison apparente. Je n’étais pas trop inquiet, au début, le médecin non plus. Quelques heures plus tard, j’étais mort, après avoir beaucoup souffert.

Quand les médecins (ils s’y sont pour finir mis à plusieurs) ont compris ce qui m’arrivait, ils ont tout fait pour me sauver, m’empêcher de mourir. Assez vite, ils ont su que ça n’irait pas. Je le voyais bien. J’avais tellement mal, j’étais prêt à mourir. Mais ils ont continué à essayer de me sauver, à faire leur travail, jusqu’au bout, désespérément. Pourtant c’était trop tard.

Moi, je ne suis plus là. Mais eux si. Avec un gros sentiment de culpabilité. J’aurais envie de poser une question, pour eux : est-il possible (et si oui, comment), notamment en situation d’urgence, pour un médecin, d’accompagner quelqu’un dans la mort, d’accepter de ne pas pouvoir sauver sa vie, sans finalement se sentir coupable ?

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Tous coupables ROuh là là, grand jour sur phusis.ch, première contribution d’un mort sur notre site internet ! D’un mort qui en connaît forcément un rayon en matière de vie et de mort, qui sait assurément mieux que personne qu’il n’y a rien à faire : qu’on a beau vouloir le contraire, beau tout faire pour qu’il en soit autrement, mais que la souffrance et la mort font partie intégrante de la vie.

Bien sûr, dans certains cas, dans certaines circonstances, la souffrance et la mort peuvent être évitées, repoussées, et on a aujourd’hui de bons moyens pour ça, mais il est tout bonnement impossible de s’en défaire. Et même plus : en cherchant à les supprimer de manière acharnée, en mettant tout en œuvre pour s’en débarrasser, on ne fait somme toute que dénaturer la vie.

Dénaturer la vie qui, au fond, sans souffrance et sans mort, n’est pas la vie, la vraie vie en son mystérieux, excitant et inquiétant va-et-vient de vie et de mort, de plaisir et de souffrance, mais devient une simple production et fiction artificielle, somme toute fade et stérile, de l’homme qui ne supporte justement pas la vie.

Oui, on a beau dire, on a beau faire, la souffrance et la mort font partie intégrante de la vie. Et même plus : sont la ressource même de toute joie et de toute vie, délicieux moments, exceptionnels, rares, dans le jeu tragique de la vie et de la mort.

Mais alors, qu’en est-il du médecin ? Bien sûr, son rôle est de défendre la vie, de soigner ses patients, de leur permettre de vivre mieux, plus longtemps, et si possible sans trop de souffrances. Mais sa tâche est aussi, le cas échéant, quand rien ne va plus, quand le patient est « foutu », comme on dit, de l’accompagner au mieux dans la mort.

Bien sûr, par sa nature même, le médecin va toujours tout faire pour que ce soit la vie qui gagne, mais sa tâche est de ne jamais oublier que la mort fait inéluctablement partie de la vie – et qu’elle n’est donc pas, en tant que telle, une catastrophe.

Oui, quand l’heure de la mort a sonné, c’est l’heure de mourir. Si le médecin peut faire quelque chose pour retarder l’échéance, pour accompagner son patient dans les derniers moments, le libérer de certaines souffrances, c’est bien entendu une bonne chose. Mais s’il n’y a plus rien à faire, s’il n’y parvient pas, le médecin n’a aucune raison de se sentir coupable.

S’il se donne toujours la peine de faire les choses bien, comme il faut, avec toute sa sensibilité, toute son intelligence, tout son cœur, jamais le défenseur de la vie qu’il est ne doit se sentir coupable. Oui, dans quoi que ce soit, si on fait son possible – pour ne pas être une brute, ne pas être idiot, indifférent, pour être en harmonie avec le jeu tragique de la vie et la mort – et si, par suite, on apprend de ses expériences, de ses succès, de ses échecs, de ses erreurs (impossible de ne pas en faire, des erreurs !), il est tout à fait possible de vivre sans cette affreuse impression d’avoir mal agi.

L’enjeu est simple – et j’espère que notre mort ne me contredira pas : il s’agit d’avoir la bonne optique, le bon rapport à soi et au monde, de toujours faire son possible, dans ce qui dépend de nous, et d’accepter le oui comme le non, dans ce qui ne dépend pas de nous. Bref, d’apprendre, au fil des expériences, à mieux interpréter les situations, d’apprendre de ses erreurs, de ses réussites, de ses succès, pour mieux connaître, partager et accompagner le fragile équilibre du jeu tragique de la vie – et la mort.

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Tous les mardis, PHUSIS donne une perspective phusique à une actualité, un événement, un extrait de texte, une pensée, une sensation, un problème ou n’importe quel phénomène jubilatoire ou inquiétant de notre monde formidable. Le matin, de bonne heure, un phusicien poste un bref article, sous forme de question à méditer. Puis, à midi, PHUSIS propose une réponse et mise en perspective.

 

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