Optimisme théorique

Optimism USFace à l’insupportable fond tragique qui guette et gronde partout entre en jeu la dimension esthétique, artistique de la vie. Pour nous abriter de l’échec, de la souffrance et de la mort, qui finissent toujours par arriver et par triompher, nous sommes amenés à nous réfugier dans quantité de belles apparences, idées, illusions et autres fictions artistiques. Elles seules rendent l’existence possible et digne d’être vécue.

A bien y regarder, cette dimension sensible, artistique de la vie ne joue pas seulement sur le plan des êtres humains que nous sommes, mais travaille partout, dans tous les phénomènes du monde. Tout ce qui apparaît à la lumière, toute belle forme n’est somme toute qu’un voile artistique qui surmonte le sombre fonds caché dont en même temps elle provient. Et ce n’est pas négligeable : plus la terrible réalité se fait sentir, plus la dimension esthétique, artistique entre en jeu, et plus riche et colorée est la création de belles apparences.

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Optimisme theorique par Michysos
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Il n’en va à vrai dire pas autrement pour les groupes sociaux, les nations, les religions, les civilisations : tous sont le résultat de productions artistiques, façonnées par des individus doués d’une grande, très grande, et même exceptionnelle sensibilité, expressivité et créativité artistique. Par des artistes créateurs de fictions de grande ampleur, rassembleuses, qui permettent à la plupart de vivre, et dans certains cas même de bien vivre.

Selon cette perspective, notre civilisation, notre triomphante, belle et claire civilisation occidentale est le produit d’artistes d’une extrême sensibilité. D’artistes qui, il y a très longtemps, en Grèce, étaient d’une telle sensibilité qu’ils en sont venus à reconnaître ladite vérité ou sagesse de Silène : le fait que l’ombre, la laideur, la souffrance, la mort finissent toujours par avoir raison de la lumière, de la beauté, du plaisir et de la vie ; que l’existence n’est somme toute qu’une insupportable succession de tourments inutiles et ne vaut par suite pas la peine d’être vécue.

Pour s’en sortir malgré tout, pour ne pas sombrer face à cette terrible découverte, ces artistes ont mis en œuvre toute leur sensibilité. En êtres passionnés, assoiffés de lumière, de clarté et de beauté, ils ont façonnés, dans des productions artistiques extraordinaires, des mythes d’une remarquable puissance : le monde des dieux olympiens. Splendide philtre magique par lequel ils sont parvenus à se voiler l’effrayant fond tragique.

Mais ce n’était là pas encore assez. Leur sensibilité a continué à grandir, à grandir encore et encore. Tellement que le brillant monde des dieux olympiens ne leur est soudain plus apparu assez clair, pur, beau et surtout assez bon pour justifier l’existence. C’est à ce stade qu’est apparu Platon (IVe siècles avant J.-C.), le génial artiste Platon, le philosophe fondateur de notre tradition.

A l’instar du monde ici et maintenant, le monde des dieux olympiens lui est lui aussi apparu trop marqué par l’instabilité et la souffrance. Et Platon d’en imaginer, d’en concevoir un autre, quant à lui sans défaut ni faille, de toute stabilité et de toute constance : un monde de pure lumière, de pure bonté, beauté et vérité : le monde suprasensible, métaphysique, des idées intelligibles.

Et Platon de fonder par-là notre tradition de pensée, notre civilisation, d’ordre optimiste théorique. Notre vision du monde qui considère que la theoría — la théorie, la connaissance abstraite des phénomènes et de la vérité —, permet d’atteindre l’optimum, le bien suprême.

Et il en est aujourd’hui encore ainsi – et peut-être même plus que jamais : nous sommes tous des optimistes théoriques, nous croyons tous que la théorie, la connaissance, le savoir, la science sont la panacée, le remède universel à tous les maux. Nous sommes tous persuadés qu’il existe une explication rationnelle, logique et morale de la vie ; sûrs que, par la maîtrise scientifique, logico-rationnelle, il est possible d’éviter la souffrance et le malheur et d’assurer le bonheur.

Mais attention, nous avons tous par-là la fâcheuse tendance à oublier qu’aussi vraie qu’elle paraisse, qu’aussi rassurante et prometteuse qu’elle soit, notre tendance optimiste théorique n’est pas davantage qu’une œuvre d’art, une création artistique, une fiction née de l’imagination de Platon. Et non la vérité de la vie.

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Un jeudi sur deux, le Dr. Ludovic MietZsche (GRE/CHN/FRA/GER/GBR/USA) vous rappelle quelques fondamentaux de la philosophie traditionnelle. Non sans dévoiler en même temps, dans les plis et replis négligés par notre vision idéaliste, quantité de perspectives cachées.

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