Eclipse de soleil

TINTINL’éclipse de soleil ? Tout bon lecteur de Tintin connaît le phénomène. Oui, c’est grâce à une éclipse de soleil, ou plutôt grâce à la lecture d’un bout de journal annonçant une éclipse de soleil, que le jeune et brillant journaliste Tintin arrive à sauver sa tête ainsi que celle de ses inséparables compagnons.

On se le rappelle : Tintin, le Capitaine Haddock et le Professeur Tournesol – sans parler de Milou, toujours en train de frétiller de la queue à côté de son maître – se trouvent dans une situation des plus périlleuses, sur un bûcher, au fin-fond du Pérou, à la merci d’exotiques incas sur le point de les sacrifier à leur dieu Soleil. Et voilà que, au moment M, exactement au moment M, le malin Tintin, sur le bûcher, alors que tout semble perdu, s’adresse au soleil et lui demande de se manifester en sa faveur. Et voilà que le soleil s’assombrit et que la nuit tombe. En plein jour. Et voilà que les sauvages et crédules incas prennent peur, crient au miracle et se prosternent devant leurs prisonniers.

Evidemment, aujourd’hui, une telle histoire ne pourrait plus avoir lieu. Même les Incas des régions les plus reculées sont désormais connectés. Et donc au courant de toute éclipse à venir. Comme nous l’avons nous-mêmes été vendredi passé. Oui, vendredi dernier, le phénomène a été relayé partout. Avant, pendant, et après. Et pas seulement au bas d’une page d’un vieux journal, mais en sons, en images, avec tous les moyens techniques possibles, par des professionnels, des amateurs, sur les chaînes publiques, les chaînes privées, à la radio, dans les journaux, sur internet, dans les écoles, les parcs, les observatoires, etc.

Une éclipse de soleil ? Un fait rare, dont aucun détail ne doit être perdu, dont chaque moment doit être montré, admiré, décortiqué, analysé et explicité à tout un chacun.

Impossible aujourd’hui de penser un seul instant qu’il s’agit là d’un signe divin, d’une révolte d’un dieu face à un sacrifice injuste, d’une démonstration de forces surpuissantes s’en prenant aux hommes, d’un monstre mangeur d’astres ou on ne sait quelle autre ânerie primitive du genre.

Et pourtant, si vous avez eu l’occasion, vendredi passé, de regarder le ciel, si vous n’avez pas dû vous contenter d’une image filtrée, plate, froide, noire et blanche, sans relief, sans variation devant votre écran d’ordinateur ou de télévision, si vous ne deviez pas, à ce moment M-là, travailler sous les néons de votre bureau sans fenêtre, si vous ne vous trouviez pas l’esprit pris par des affaires beaucoup plus importantes, si au contraire vous avez eu la chance de pouvoir observer, sentir, écouter ce qui s’est passé, vous vous êtes sûrement vous aussi dit qu’une éclipse de soleil, c’est quand même quelque chose d’extraordinaire, de spécial, de mystérieux. Quelque chose de difficile à comprendre, dont on ne sait finalement pas trop quoi penser, même si on en a été très bien informé.

Sûrement, vous vous êtes tout à coup dit que tout ça était quand même bizarre, que plus rien n’était comme d’habitude, qu’une éclipse de soleil, ça n’avait quand même rien à voir avec un nuage qui passe, juste comme ça, devant le soleil. Que c’était quand même quelque chose de très étrange.

Oui, pendant un moment, c’était étrange. Les oiseaux ont d’abord commencé à chanter davantage et plus fort, avant de chanter de moins en moins, voire plus du tout. Et il a fait de plus en plus sombre, drôlement plus sombre. Et plus froid, drôlement plus froid. Et il y avait de l’agitation dans l’air. Puis un drôle de calme. Soudain, une menace planait dans l’air. Une menace de plus en plus grande, de plus en plus inquiétante à force que la lumière diminuait. Comme si, au fond, même si on ne croit plus aux dieux, la lune et le soleil s’étaient mis d’accord pour tenter de nous dire quelque chose…

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