Cadmos conseille Penthée

236px-NAMA_Actéon330-342 – PrésentationSUITE à L’EXPOSITION par Tirésias de la puissance et du caractère incontournable de Dionysos, et suite à la ratification de son discours par le chœur, Cadmos prend à son tour la parole pour tenter de détourner Penthée de sa tendance anti-dionysiaque.

Après avoir attesté la valeur des conseils du prophète, Cadmos supplie son petit-fils de cesser de filer son mauvais coton et de renouer avec les lois et bonnes mœurs traditionnelles, fondées sur l’écoute, l’harmonie et le bon ordre de toute chose, hommes et dieux compris, au sein du monde. A vrai dire, Cadmos a deviné la nature du mal qui frappe Penthée : il est victime de sa raison, de sa puissante raison ; si puissante qu’elle est devenue hypertrophique. Au point que son esprit s’est mis à se faire des idées, à fantasmer et imaginer quantité de choses tout aussi scandaleuses qu’impossibles ; et voilà qu’il s’est mis à croire qu’on peut comme ça, du jour au lendemain, transformer et améliorer le monde, le rendre conforme à ses idées. Mais Penthée se fourvoie ; ses pensées et idées ne sont au fond que du vent : le fruit malade et dangereux de sa petite volonté ou raison individuelle. Bien sûr, celle-ci lui permet de voler, de courir et gouverner à sa guise, mais elle se trouve aux antipodes de l’incontournable et inéluctable grande volonté et raison divine.

Tel est alors le conseil que donne Cadmos à son petit-fils, et ce pour le bien de l’ensemble de la cité : « Même si tu ne crois pas personnellement à l’existence et influence de Dionysos, ne manque pas de garder ton discours et tes convictions pour toi. L’honneur de notre famille et l’avenir de Thèbes sont en jeu. Au lieu d’imposer tes opinions, voile-les, cache-les bien plutôt ! Et affirme haut et fort ce que tout le monde doit entendre et croire : à savoir que Dionysos est bel et bien le fils de Sémélé. »

Si Penthée doit se rétracter, ou du moins se retenir de la sorte, ce n’est pas seulement pour l’honneur de sa famille et le bien de la cité, mais finalement aussi pour sa propre sauvegarde. S’il ne corrige pas le tir, il subira le même sort funeste que son cousin Actéon, le fameux chasseur sur les terres sauvages, riches en gibier, qui entourent Thèbes. Qu’est-il arrivé à Actéon ? Cadmos ne manque pas de le rappeler : il s’est fait dilacérer par ses jeunes chiennes qu’il avait pour habitude de nourrir de viande crue. Pourquoi ? Parce qu’il a, comme Penthée est en train de le faire, accompli un acte d’hubris : alors que l’outrage du roi consiste en le refus de reconnaître la divine puissance de Dionysos, Actéon s’est pour sa part vanté d’être meilleur chasseur qu’Artémis, la déesse de la chasse en personne. Quelle arrogance ! Quelle usurpation de ses droits et devoirs de mortels ! Un tel fourvoiement vis-à-vis des dieux implique forcément la plus terrible des punitions…

« Pourvu que tu retrouves ton bon sens et n’aies pas à endurer pareil châtiment, Penthée ! », supplie alors Cadmos, avant d’exhorter son petit-fils sacrilège à s’approcher pour lui couronner la tête du symbole bachique par excellence qu’est le lierre. Car si Penthée ne veut pas à son tour finir déchiqueté, il est temps, il est grand temps qu’il fasse lui aussi, à l’instar de Cadmos et de Tirésias, honneur au divin Dionysos.

*

Texte original (Bacchantes, vers 330-342)

330-342 – Texte

CADMOS

(330) Mon enfant, Tirésias t’a bien conseillé.
Habite avec nous, et non en marge des lois ;
Certes maintenant tu voles, tu cours, mais alors même que tu penses, tu n’as aucune pensée.
Même si, en effet, comme tu dis, ce dieu n’existe pas,
Garde ton discours pour toi ; et voile-le bien en disant
Que Dionysos est bel et bien le fils de Sémélé, afin que tout le monde croie qu’elle a enfanté un dieu ;
Et que l’honneur nous revienne, à nous tous, à tout notre genre.
Tu vois le sort du malheureux Actéon,
Mis en pièces par les jeunes chiennes mangeant cru
Qu’il nourrissait, parce qu’il se vantait d’être meilleur
(340) Qu’Artémis à la chasse en terres fertiles.
Pourvu que toi, tu n’endures pas cela ! Allez, Penthée, viens ici, que je couronne ta tête,
De lierre ! Allez, Penthée, rends avec nous honneur au dieu !

*

ΚΑΔΜΟΣ

(330) ὦ παῖ, καλῶς σοι Τειρεσίας παρήινεσεν.
οἴκει μεθ’ ἡμῶν, μὴ θύραζε τῶν νόμων·
νῦν γὰρ πέτηι τε καὶ φρονῶν οὐδὲν φρονεῖς.
κεἰ μὴ γὰρ ἔστιν ὁ θεὸς οὗτος ὡς σὺ φήις,
παρὰ σοὶ λεγέσθω· καὶ καταψεύδου καλῶς
ὡς ἔστι Σεμέλης, ἵνα δοκῆι θεὸν τεκεῖν
ἡμῖν τε τιμὴ παντὶ τῶι γένει προσῆι.
ὁρᾶις τὸν Ἀκταίωνος ἄθλιον μόρον,
ὃν ὠμόσιτοι σκύλακες ἃς ἐθρέψατο
διεσπάσαντο, κρείσσον’ ἐν κυναγίαις
(340) Ἀρτέμιδος εἶναι κομπάσαντ’ ἐν ὀργάσιν.
ὃ μὴ πάθηις σύ· δεῦρό σου στέψω κάρα
κισσῶι· μεθ’ ἡμῶν τῶι θεῶι τιμὴν δίδου.

*

Les passages précédents des Bacchantes se trouvent ici.

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