Canicule céleste

Sirius

ON L’ANNONCE DEPUIS LONGTEMPS ; on l’espère et la craint ; on s’y prépare ; et, enfin, la voilà. Qui ? La canicule !

La canicule, ce moment de grande chaleur qui nous pousse à vivre à demi-nu, les fenêtres grandes ouvertes, de batifoler dans les étendues d’eau, de passer son temps sur les balcons et terrasses, de faire grimper en flèche les ventes de chapeaux, de crèmes et autres protections solaires, ainsi que bien sûr celles des glaces et des boissons fraîches. La canicule dont tout le monde parle et qui nous fera dire, dans quelques semaines, qu’on a quand même eu un bel été.

Mais la canicule est-elle seulement une vague de chaleur ? N’est-elle rien de plus que cela ? A vrai dire, canicula est le diminutif féminin de canis, le chien en latin. La canicula est donc la petite chienne. Non pas celle de la voisine de la descendante de la tante par alliance de Jules César qui remplit nos oreilles de ses jappements crieurs la journée durant. Mais celle qui luit dans le ciel, l’étoile principale de la constellation du Grand Chien, plus connue sous le nom de Sirius. L’étoile qui, plus ou moins entre le 22 juillet et le 23 août, se lève et se couche en même temps que le soleil.

Il y a plusieurs centaines, et même milliers d’années, cette étoile n’était pas seulement un astre, synonyme et annonciateur de températures élevées.

Chez les anciens Egyptiens, la première apparition matinale de Sirius – ou Sothis comme on l’appelle en ce temps-là – coïncide avec la crue du Nil. Après que le fleuve ait atteint son niveau le plus bas, privant d’eau, de nourriture et d’axe de transport les hommes, c’est elle qui entraîne le début d’une nouvelle année, un nouveau commencement pour la terre et ses habitants, la réapparition de l’eau indispensable à la vie.

D’Egypte, le signe de nouvelle année, de recommencement du cycle de la vie passe notamment en Grèce. On y raconte que Seirios – dont Sirius est la forme latinisée – est le nom du chien d’un très grand chasseur mythique nommé Orion. Lorsque ces derniers meurent, tués par la piqure d’un scorpion, ils sont transformés par Poséidon en constellation. Depuis, l’étoile canine donne aux palais crétois leur orientation ; et son apparition sert de point de repère pour dater les événements importants. Tout comme elle indique d’ailleurs le début des calendriers annuels des grands sanctuaires grecs que sont Olympie, Delphes, Epidaure.

Comme étoile, et comme le sens de brûlant, ardent du mot grec le révèle, Seirios signale l’apparition d’une saison de grande chaleur : une saison qui peut s’avérer cruelle et porteuse de maladies. « On l’appelle le chien d’Orion », dit Homère. « Il est le plus brillant, mais il est aussi un signe de mauvais augure en ce qu’il apporte une grande fièvre aux hommes faibles ». Mais une saison qui est aussi celle qui fait croître et mûrir les produits de la terre. Au point que certains ont vu dans l’étoile l’exceptionnel don de lumière qui donne aux hommes les vignes verdoyantes qui engendrent de juteux raisins, sources de l’enthousiasmante boisson qu’est le vin. Et, dans le même sens, qu’on raconte par exemple que la chienne d’un chasseur a un jour accouché prématurément d’une bûche ; et que celle-ci, après avoir été ensevelie par le chasseur comme s’il s’agissait d’un mort-né, a fait apparaître la première vigne. La vigne sacrée comme don du chien céleste, de la chienne d’Orion, le chasseur mythique…

Et si c’était toujours elle qui était là, la canicule, la canicula, Sothis, Seirios, Sirius, ou qu’importe comment on l’appelle, elle qui se lève et se couche en même temps que le soleil, elle qui porte tant l’exubérance de vie que la mort ? Et si c’était toujours son lever et son coucher qui engendraient la mystérieuse période de grande chaleur qui nous entoure, nous stimule et nous assomme ? Son lever et son coucher ont en tout cas toujours lieu ; même aujourd’hui, où tout le monde parle, dans l’indifférence générale, de canicule sans penser nommer davantage que la très forte chaleur ambiante…

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