Dionysos, silène et ménades dansantImportance de Dionysos QEn regardant l’autre jour des vieux vases dans un musée, j’ai été étonnée de voir combien on y trouvait de personnages entourés de vignes : des hommes nus, dans de drôles de postures, volontiers le sexe proéminent, en train de danser, de boire, parfois avec des femmes. Et, souvent, au milieu d’eux, un homme majestueux, barbu, debout ou couché. Les pancartes des vases parlaient de Dionysos ou de scènes dionysiaques.

Moi, dans ce que je connais de la Grèce, j’ai bien sûr entendu parler de Dionysos, mais sans jamais lire qu’il était aussi important que ça. Et vous ?

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Importance de Dionysos REh bien nous, c’est exactement pareil ! Et pourtant, on en a lus des tonnes, de livres sur la Grèce, sur la vie grecque et sur Dionysos.

C’est un fait : bien que Dionysos et la vie dionysiaque apparaissent chez tous les auteurs grecs et dans tous les livres sur la Grèce, ils le font proportionnellement bien moins souvent que dans l’iconographie, et en particulier sur les vases et les coupes.

Les ouvrages spécialisés relèvent certes l’importance de Dionysos, mais n’en mesurent jamais les proportions. Car il en est bien ainsi partout : qu’importe les régions ou les musées, une bonne partie des vases qui ont traversé les âges sont ornés de scènes de vie dionysiaque.

Ah, l’ambiance de banquets, le climat de joie, de surabondance, d’ivresse printanière, d’excès de plénitude, de fécondité, de productivité, de jeu et de tous les délices de la vie ! Avec le majestueux Dionysos, sa barbe, son grand vêtement, son air oriental, impérial, là au milieu. Dionysos, entouré de vigne vigoureuse, d’immenses grappes de raisin, et de son exubérant cortège de compagnons : les joviaux satyres, mi-hommes, mi-boucs – hommes à queue, à pieds ou à oreilles de bouc –, dans de drôles de postures, le sexe volontiers en érection. Mais aussi les bacchantes, suivantes féminines de Dionysos, prises d’enthousiasme, en train de chanter, de danser et de célébrer les excitants et inquiétants mystères cachés de l’existence.

Mais pourquoi alors ce décalage entre les textes – les nôtres aussi bien que ceux des Grecs, d’ailleurs – et l’iconographie ? Eh bien, parce que Dionysos est un dieu secret, comme les satyres et les Bacchantes excitant et inquiétant à la fois : parce que Dionysos est le dieu des Mystères, des mystères de la renaissance de la vie à partir de la mort ; parce que Dionysos est le dieu des arts, de la tragédie, de la poésie, de la musique, des masques, et de toutes les apparences qui expriment le jeu caché de la vie et de la mort, et qui indiquent aux hommes comment se comporter au sein du tout du monde ; parce que Dionysos enfin est le dieu de toutes les forces surabondantes de la nature, des sucs vitaux, de la végétation, et en particulier de la vigne et du vin, où les surpuissantes forces de vie et de mort se libèrent et jouent le plus fortement.

Alors, forcément, en tant que dieu des mystères de l’ivresse de la vie et de la mort, Dionysos est partout, en Grèce. Et, forcément, en tant que tel, il est des plus difficiles à exprimer en mots. Du moins dans nos mots, dans notre langage rationnel, dans nos catégories de raison, dans notre perspective pragmatique, objectivante, hostiles à toute nature mystérieuse, à toute puissance qui déborde nos structures de pensée.

Oui, notre conception du langage, notre vision du monde a rendu l’expression des forces que symbolise et qu’incarne Dionysos tellement difficile qu’on a pris l’habitude, sinon de les écraser ou de les canaliser, de les ignorer et de s’en détourner. Comme on a pris l’habitude sinon d’écrabouiller ou de téléguider, d’ignorer et de se détourner de tout ce qui, dans cette vie, est de l’ordre des mystères sacrés, des excitantes et inquiétantes forces qui nous dépassent de fond en comble.

Allez, n’oublions pas ce qui gronde au fond de toute chose – et vive les vases grecs qui nous le rappellent !

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Tous les mardis, PHUSIS donne une perspective phusique à une actualité, un événement, un extrait de texte, une pensée, une sensation, un problème ou n’importe quel phénomène jubilatoire ou inquiétant de notre monde formidable. Le matin, de bonne heure, un phusicien poste un bref article, sous forme de question à méditer. Puis, à midi, PHUSIS propose une réponse et mise en perspective.

4 Comments

  1. J’imagine volontiers l’effarement de Dionysos au milieu de nos marchés de Noel. A coup sur il y perdrait sa vigne et retournerait se cacher dans les vases qu’il décore

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