REGARDE, CâEST LA GROTTE DE LA TARENTULE ! Tu veux voir lâanimal en personne ? Approche un peu : sa toile est suspendue ici. Touche-la du doigt, pour la faire trembler ; tu verras, elle aura vite fait de venir voir ce qui se passe.
Et hop : la voilĂ dĂ©jĂ , pleine de bonne volontĂ©, docile. Bienvenue, tarentule ! On te reconnaĂźt bien, avec ton triangle, ton emblĂšme noir sur le dos. Mais figure-toi que pour ma part, je ne te connais pas seulement de lâextĂ©rieur, je sais aussi ce qui siĂšge dans ton Ăąme.
Je vais te le dire : câest la vengeance qui siĂšge dans ton Ăąme : une croĂ»te noire se forme Ă lâendroit oĂč tu mords tes proies ; et câest avec vengeance que ton venin sâinfiltre en eux, les travaille, et leur fait tourner lâĂąme !
Vous lâaurez remarqué : je vous parle en parabole. Lâimage de la tarentule, câest vous, vous autres ĂȘtres qui faites tourner les Ăąmes, vous autres prĂ©dicateurs de lâĂ©galitĂ© ! Oui, vous ĂȘtes pour moi des tarentules, des ĂȘtres vindicatifs, terrĂ©s, cachĂ©s au fond de votre trou, toujours curieux de savoir ce qui se passe alentours et prĂȘts Ă vous manifester pour vous jeter sur les Ă©ventuelles proies !
Moi, je veux que vos cachettes sortent de lâombre, viennent Ă la lumiĂšre : câest pourquoi je me moque de vous ; câest pourquoi je vous ris Ă la figure de mon rire venu dâen haut, des hauteurs montagneuses, lĂ oĂč la vie est rude, loin de tout Ă©galitarisme.
VoilĂ la raison pour laquelle je tire sur votre filet, le fait trembler : pour que votre rage vous fasse sortir de votre trou, de votre grotte de mensonges ; que votre esprit de vengeance se dĂ©voile au grand jour, bondisse de derriĂšre vos belles paroles de « justice », dâĂ©galitĂ©, votre prĂ©tention dâincarner le bien, le juste, le vrai, etc.
Mon but nâest autre que de dĂ©livrer lâhomme de la vengeance, de son esprit de vengeance. Car cette dĂ©livrance reprĂ©sente selon moi le pont vers le plus grand espoir ; le pont qui conduit lâhomme en direction du surhomme : un arc-en-ciel multicolore aprĂšs une longue tempĂȘte.
Mais, sĂ»rs dâelles, repliĂ©es sur elles-mĂȘmes, les tarentules veulent Ă©videmment quâil en soit autrement : « Que justice soit faite ! Que les tempĂȘtes de notre vengeance envahissent le monde ! » â voilĂ comment les tarentules parlent entre elles.
« Nous voulons ĂȘtre vindicatifs et injurieux vis-Ă -vis de tous ceux qui ne nous sont pas Ă©gaux », voilĂ ce que se promettent solennellement les cĆurs de tarentules ; cĆurs Ă©galitaires, qui cherchent Ă Ă©carter toute diffĂ©rence, tout ce qui, dâune maniĂšre ou dâune autre, pourrait ĂȘtre supĂ©rieur, dĂ©passer la masse.
Voici ce quâelles veulent, voici ce quâelles crient : « égalité ! » « VolontĂ© dâĂ©galitĂ© â vertu et Ă©galitĂ© doivent Ă lâavenir devenir synonymes ; aussi voulons-nous Ă©lever nos cris contre tout ce qui est puissant, supĂ©rieur, tout ce qui a du pouvoir ! »
Mais câest Ă vrai dire la folie tyrannique de lâimpuissance qui crie ainsi hors de vous, vous autres tarentules, prĂ©dicatrices de lâĂ©galitĂ©. Quelle perfidie : vos plus secrets appĂ©tits de tyrans â votre quĂȘte dâinfluence, de pouvoir, de gloriole â se dissimulent en paroles de vertu !
Chagrine suffisance, envie retenue, jalousie cachĂ©e. DâoĂč vient tout cela ? Il sâagit sans doute de la suffisance et jalousie de vos pĂšres. En tout cas, votre folie de vengeance jaillit de vous comme une flamme.
Ce que le pĂšre a tu, ce quâil a gardĂ© pour lui â consciemment ou non, quâimporte â, vient soudain Ă parler dans le fils ; oui, jâai souvent reconnu, dĂ©voilĂ© dans le fils, le secret cachĂ© du pĂšre.
On peut sây tromper : Ă premiĂšre vue, ils ressemblent aux enthousiastes, Ă des ĂȘtres stimulĂ©s par des forces qui les dĂ©passent, des puissances divines. Cependant, Ă bien y regarder, il nâen est rien : ils ne sont pas portĂ©s par leur cĆur, câest bien plutĂŽt leur rĂ©flexion, leur esprit de vengeance qui les enthousiasment. Et mĂȘme plus : ce nâest Ă vrai dire pas leur esprit, mais leur jalousie qui les rend ainsi, subtils et froids â intelligents, rationnels, abstraits, en un mot objectivants.
Leur jalousie les conduit certes aussi sur le sentier des penseurs, le chemin de la philosophie, de lâamour de la sagesse. Mais, une fois en marche sur celui-ci, ils sâaventurent toujours trop loin ; ils exagĂšrent. Tel est le signe de leur jalousie : insatisfaits, ils en veulent trop ; ils en font trop â et sombrent dans lâabstraction. Et, Ă force de rĂ©flexion, ils finissent mĂȘme par sâĂ©puiser ; au point de ne plus tenir debout et de se voir contraints de coucher dehors, dans le froid, sur la neige qui recouvre la terre, tant leurs pensĂ©es glacent le monde, lui enlĂšvent la vie.
Et voilĂ que dans chacune de leur plainte rĂ©sonne la vengeance ; et que dans chacune de leur louange se cache une volontĂ© de nuire, de faire du mal. Leur bonheur lui-mĂȘme semble rĂ©sider dans leur comportement de juges, enclins, par esprit de vengeance, dans le but de leur soit-disante Ă©galitĂ©, Ă punir, piquer et faire tourner la tĂȘte Ă leurs proies.
Je vous donne ce conseil, mes amis : méfiez-vous de tous ceux qui aiment punir ; de tous ceux dont la pulsion de punir est puissante !
Ils constituent une population de mauvais genre, de mauvaise origine ; leur visage est celui du bourreau et du chien policier.
MĂ©fiez-vous de tous ceux qui parlent volontiers de la justice, de leur justice ! Sâils le font, câest en vĂ©ritĂ© quâils sont faibles, que leur Ăąme est pauvre. Tellement pauvre quâil lui manque Ă peu prĂšs tout ; et pas seulement la fine fleur du miel.
Et sâils sâappellent eux-mĂȘmes « les bons et justes », nâoubliez pas quâils ne sont pas loin de devenir des Pharisiens, des rĂ©actionnaires autoritaires, imbus de savoir traditionnel et opposĂ©s Ă toute pensĂ©e nouvelle. A vrai dire, il ne leur manque que le pouvoir pour devenir de tels hommes â et vous Ă©craser !
Mes amis, faites attention : je ne veux pas ĂȘtre mĂ©langĂ© et confondu avec eux.
Attention : il y en a qui rĂ©cupĂšrent ma doctrine de la vie : ils prĂȘchent celle-ci tout en Ă©tant des prĂ©dicateurs de lâĂ©galitĂ©, des tarentules.
Oui, bien quâelles soient assises dans leur grotte, terrĂ©es dans leur trou, et donc au fond dĂ©tournĂ©es de la vie, ces araignĂ©es venimeuses prĂ©tendent parler en faveur de lâexistence. Mais leur seul but est par lĂ de faire du mal ; elles veulent nuire Ă tout ce qui est fort, tout ce qui est vivant, en lui faisant croire Ă une autre existence, Ă dâautres valeurs que celles de lâici et maintenant ; existence et valeurs parfaites, idĂ©ales.
Elles veulent en effet avant tout faire mal Ă ceux qui ont maintenant le pouvoir : car câest chez eux que la prĂ©dication de la mort est encore la plus efficace, la plus chez elle ; câest eux qui rĂ©agissent le mieux Ă leurs doctrines nĂ©gatrices de la vie, tant ils sont prĂȘts Ă tout pour rendre leur vie meilleure.
Sâil en Ă©tait autrement, les tarentules dispenseraient un autre enseignement ; car, en plus, elles ne sont pas dâune piĂšce ; intelligentes, elles sâadaptent ; elles configurent leurs discours en fonction des situations : raison pour laquelle elles ont jadis aussi pu ĂȘtre les meilleures calomniatrices du monde et brĂ»leuses dâhĂ©rĂ©tiques. Tout ce qui ne leur plaĂźt pas, tous les hommes qui les dĂ©passent, qui croient Ă autre chose quâelles, elles les piquent et leur font tourner la tĂȘte au nom de la justice, de lâĂ©galitĂ©.
Je ne veux pas ĂȘtre mĂ©langĂ© et confondu avec ces prĂ©dicateurs de lâĂ©galitĂ©. Car voici comment me parle, Ă moi, la justice â la justice de la vie, qui nâa somme toute rien Ă voir avec la morale de lâhomme : elle mâenseigne que « les hommes ne sont pas Ă©gaux ».
Et, Ă©gaux, ils ne doivent pas non plus le devenir ! Il y a des hommes infĂ©rieurs, des hommes supĂ©rieurs ; et lâĂ©chelle â ou, mieux, le pont â entre les deux est immense. Que vaudrait mon amour pour le surhomme si je parlais autrement ? Il y a des hommes qui peuvent des choses que dâautres ne peuvent pas. Il y en a qui ont les moyens de sâavancer Ă grands pas vers le surhomme, dâautres qui en sont bien incapables.
Câest ainsi sur mille ponts et passerelles que les hommes doivent se presser en direction de lâavenir ; et il faut, entre eux, placer toujours plus de guerre et dâinĂ©galité : voilĂ comment me pousse Ă parler mon grand amour, qui nâa Ă©videmment rien Ă voir avec lâamour du prochain prĂŽnĂ© par la tradition. Câest toujours la mĂȘme rengaine : si jâaime les hommes, câest pour les possibilitĂ©s quâil incarne, les puissances de vie quâil est en mesure dâincarner ; si je lâaime, câest en tant que chemin en direction du surhomme.
Or ce chemin nâest pas celui de lâesprit de vengeance au nom de la justice et de lâĂ©galitĂ©, mais celui de la lutte, de la bagarre, du dĂ©passement. Dans leurs difficultĂ©s, dans leur hostilitĂ©, les hommes deviennent crĂ©ateurs, doivent faire travailler leur fantaisie : il faut quâils deviennent des inventeurs dâimages et de fantĂŽmes ; câest en sâappuyant sur les fruits de leur imagination quâils doivent livrer leur plus grande bataille !
Tous les noms des valeurs, bien et mal, riche et pauvre, Ă©levĂ© et insignifiant, tous, quels quâils soient, doivent ĂȘtre des armes pour la bataille suprĂȘme : le dĂ©passement de soi. Des clinquantes indications du fait que la vie doit inlassablement se surmonter, se dĂ©passer soi-mĂȘme !
Oui, la vie elle-mĂȘme veut grandir, sâĂ©difier vers les hauteurs. Et elle le fait Ă lâaide de piliers et de marches. Sâil lui faut de la hauteur, câest quâelle veut regarder vers les lointains immenses et, par-delĂ , vers des beautĂ©s bienheureuses ; raison pour laquelle elle nâa de cesse de se dĂ©passer soi-mĂȘme !
Et parce quâil lui faut de la hauteur, il lui faut des marches et la contradiction des marches de ceux qui les utilisent pour grimper vers les sommets. La contradiction des marches ? Toute marche sert certes Ă monter vers les hauteurs, mais conduit aussi vers les profondeurs ! La vie veut grimper et, en grimpant, se surmonter, se dĂ©passer soi-mĂȘme.
Et regardez donc par lĂ , mes amis, vers la grotte de la tarentule ! Regardez : lĂ oĂč elle se cache sâĂ©lĂšvent les ruines dâun vieux temple, les vestiges dâune monde prĂ©cĂ©dent notre tradition plurimillĂ©naire ; un monde dâavant les tarentules, sans Ă©galitĂ©, sans prĂ©tendue justice, sans esprit de vengeance ; un monde marquĂ© par lâinjustice de la vie avec sa morale tragique. Regardez-moi tout ça avec des yeux neufs, Ă©clairĂ©s, pleins de sagesse !
En vĂ©ritĂ©, celui qui est Ă lâorigine du vieux temple, celui qui jadis a dressĂ© ici ses pensĂ©es en une tour de pierres, en savait autant que le plus sage sur le secret de la vie ! Il savait quâil nây avait pas de contraires, que lâun ne vas pas sans lâautre, que tout nâest que diffĂ©rence de degrĂ©s du mĂȘme.
Il savait notamment que le combat, lâinĂ©galitĂ©, la guerre, la puissance et la surpuissance se trouvent eux aussi dans la beauté : voilĂ ce quâil nous apprend dans la plus limpide des paraboles. La sagesse quâil nous indique nâest autre que celle de la rudesse de la vie.
Comme la voĂ»te et les arcs se brisent ici divinement, dans le combat ! Comme, avec la lumiĂšre et lâombre, ils sâĂ©lancent les uns contre les autres, les divins ambitieux !
Ainsi, sĂ»rs et beaux, laissez-nous encore ĂȘtre des ennemis, mes amis ! Divinement, nous voulons nous Ă©lancer les uns contre les autres !
Malheur ! La tarentule, ma vieille ennemie, mâa moi-mĂȘme mordu ! Divinement sĂ»re dâelle et belle, elle mâa mordu le doigt ! Me voyant supĂ©rieur Ă elle, elle nâa pas hĂ©sitĂ© un instant Ă chercher Ă me faire tourner la tĂȘte, Ă me faire croire Ă un monde meilleur, idĂ©al.
« Il faut que la punition et la justice soient â ainsi pense-t-elle : il ne doit pas chanter pour rien des chants en lâhonneur de lâhostilité ! Il nâa pas le droit de se montrer supĂ©rieur ! Il faut quâil soit puni comme il le mĂ©rite ! » VoilĂ pourquoi elle mâa mordu : elle sâest vengĂ©e de ma luciditĂ©. Elle a voulu empoisonner la force de la vie qui siĂšge en moi.
Oui, elle sâest vengĂ©e ! Et malheur ! Câest encore avec vengeance quâelle va maintenant me faire tourner la tĂȘte !
Mais aidez-moi, mes amis : pour que je ne tourne pas, attachez-moi fortement Ă cette colonne, comme Ulysse sur son bateau pour ĂȘtre sĂ»r de rĂ©sister au pouvoir de sĂ©duction des SirĂšnes ! Je prĂ©fĂšre encore ĂȘtre un stylite que dâĂȘtre emportĂ© par le tourbillon de la vengeance !
En vĂ©ritĂ©, Zarathoustra nâest pas un vent tournoyant et tourbillonnant ; Zarathoustra nâa quâun discours, quâil dĂ©ploie de maintes façons ; Ă la diffĂ©rence des tarentules qui façonnent leur discours en fonction des circonstances. Et si Zarathoustra est un danseur, il ne sera pourtant plus jamais un danseur de tarentule ! â
Parole de Zarathoustra.
***
Traduction littérale
Regarde, câest la grotte de la tarentule ! Veux-tu la voir elle-mĂȘme ? Sa toile est suspendue ici : touche-la pour la faire trembler.
La voilà qui vient, pleine de bonne volonté : bienvenue, tarentule ! Noir, sur ton dos, siÚge ton triangle et emblÚme : et je sais aussi ce qui siÚge dans ton ùme.
La vengeance siĂšge dans ton Ăąme : lĂ vers quoi tu mords pousse une croĂ»te noire ; avec vengeance ton venin fait tourner lâĂąme !
Je vous parle donc en parabole, vous qui faites tourner les Ăąmes, vous prĂ©dicateurs de lâĂ©galitĂ© ! Vous ĂȘtes pour moi des tarentules et des ĂȘtres vindicatifs cachĂ©s !
Mais je veux amener vos cachettes Ă la lumiĂšre : câest pourquoi je vous ris au visage de mon rire des hauteurs.
Câest pourquoi je tire sur votre filet, de sorte que votre rage vous attire hors de votre grotte de mensonges, et que votre vengeance bondisse de derriĂšre votre mot « justice ».
Car que lâhomme soit dĂ©livrĂ© de la vengeance : tel est selon moi le pont vers le plus grand espoir et un arc-en-ciel suite Ă une longue tempĂȘte.
Mais les tarentules veulent Ă©videmment quâil en soit autrement. « Que le monde soit rempli des tempĂȘtes de notre vengeance, câest prĂ©cisĂ©ment ce que nous appelons justice » â voilĂ comment elles parlent entre elles.
« Nous voulons user de vengeance et injurier tous ceux qui ne nous sont pas Ă©gaux » â tel est ce que se promettent solennellement les cĆurs de tarentules.
« Et, « volontĂ© dâĂ©galité » â cela mĂȘme doit Ă lâavenir devenir le nom de la vertu ; et nous voulons Ă©lever nos cris contre tout ce qui a du pouvoir ! »
Vous, prĂ©dicateurs de lâĂ©galitĂ©, la folie tyrannique de lâimpuissance crie ainsi hors de vous vers lâ« égalité » : vos plus secrets appĂ©tits de tyrans se dissimulent ainsi en paroles de vertu !
Chagrine suffisance, jalousie retenue, peut-ĂȘtre la suffisance et jalousie de vos pĂšres : ça Ă©clate hors de vous comme une flamme et folie de vengeance.
Ce que le pĂšre a tu vient Ă parler dans le fils ; et souvent jâai trouvĂ© le fils comme secret dĂ©voilĂ© du pĂšre.
Ils ressemblent aux enthousiastes : mais ce nâest pas le cĆur qui les enthousiasme, â mais la vengeance. Et quand ils deviennent subtils et froids, ce nâest pas lâesprit, mais la jalousie qui les rend subtils et froids.
Leur jalousie les conduit aussi sur le sentier des penseurs ; et câest lĂ le signe de leur jalousie â ils vont toujours trop loin : de sorte que leur fatigue doit finalement encore se coucher sur la neige pour dormir.
De chacune de leur plainte rĂ©sonne la vengeance, dans chacune de leur louange il y a un faire du mal ; et leur bonheur semble dâĂȘtre des juges.
Mais je vous donne ce conseil, mes amis : méfiez-vous de tous ceux dont la pulsion de punir est puissante !
Câest lĂ peuple de mauvais genre et origine ; Ă travers leurs visages regardent le bourreau et le chien policier.
Méfiez-vous de tous ceux qui parlent beaucoup de leur justice ! En vérité, leur ùme ne manque pas seulement de miel.
Et sâils sâappellent eux-mĂȘmes « les bons et justes », nâoubliez pas que pour devenir des Pharisiens il ne leur manque rien dâautre sinon â le pouvoir !
Mes amis, je ne veux pas ĂȘtre mĂ©langĂ© et confondu.
Il y en a qui prĂȘchent ma doctrine de la vie : et en mĂȘme temps ils sont prĂ©dicateurs de lâĂ©galitĂ© et tarentules.
Ils parlent en faveur de la vie bien quâelles soient assises dans leur grotte et dĂ©tournĂ©es de la vie, ces araignĂ©es venimeuses : câest quâelles veulent par lĂ faire du mal.
Elles veulent faire du mal Ă ceux qui ont maintenant le pouvoir : car câest encore auprĂšs de ceux-lĂ que la prĂ©dication de la mort est le mieux Ă la maison.
Sâil en Ă©tait autrement, les tarentules auraient un autre enseignement : et ce sont prĂ©cisĂ©ment elles qui Ă©taient jadis les meilleures calomniatrices du monde et brĂ»leurs dâhĂ©rĂ©tiques.
Je ne veux pas ĂȘtre mĂ©langĂ© et confondu avec ces prĂ©dicateurs de lâĂ©galitĂ©. Car voici comment me parle la justice : « Les hommes ne sont pas Ă©gaux ».
Et ils ne doivent pas non plus le devenir ! Que serait donc mon amour pour le surhomme si je parlais autrement ?
Câest sur mille ponts et passerelles quâils doivent se presser vers lâavenir, et toujours plus de guerre et dâinĂ©galitĂ© doit ĂȘtre placĂ© entre eux : ainsi me fait parler mon grand amour !
Dans leur hostilitĂ©, ils doivent devenir des inventeurs dâimages et de fantĂŽmes, et avec leurs images et fantĂŽmes ils doivent encore livrer leur plus suprĂȘme bataille !
Bien et mal, et riche et pauvre, et Ă©levĂ© et insignifiant, et tous les noms des valeurs : ils doivent ĂȘtre des armes et des clinquants indices du fait que la vie doit toujours de nouveau se dĂ©passer soi-mĂȘme !
La vie elle-mĂȘme veut sâĂ©difier dans les hauteurs avec des piliers et des marches : elle veut regarder vers les lointains immenses et par-delĂ vers des beautĂ©s bienheureuses, â raison pour laquelle il lui faut de la hauteur !
Et parce quâil lui faut de la hauteur, il lui faut des marches et la contradiction des marches et de ceux qui grimpent ! La vie veut grimper et se surmonter en grimpant.
Et regardez-moi donc, mes amis ! Ici oĂč se trouve la grotte de la tarentule sâĂ©lĂšvent les ruines dâun vieux temple, â regardez-moi donc ça avec des yeux illuminĂ©s !
En vérité, celui qui a ici jadis dressé ses pensées en une tour de pierres, il en savait autant que le plus sage sur le secret de la vie !
Que le combat et lâinĂ©galitĂ©, et la guerre et la puissance et la surpuissance se trouvent eux aussi dans la beauté : voilĂ ce quâil nous apprend dans la plus claire des paraboles.
Comme la voĂ»te et les arcs se brisent ici divinement, dans le combat : comme avec la lumiĂšre et lâombre ils sâĂ©lancent les uns contre les autres, les divins ambitieux â
Ainsi sĂ»rs et beaux, laissez-nous aussi ĂȘtre des ennemis, mes amis ! Divinement, nous voulons nous Ă©lancer les uns contre les autres ! â
Malheur ! La tarentule mâa moi-mĂȘme mordu, ma vieille ennemie ! Divinement sĂ»re et belle, elle mâa mordu le doigt !
« Il faut que la punition et la justice soient â ainsi pense-t-elle : il ne doit ici pas chanter pour rien des chants en lâhonneur de lâhostilité ! »
Oui, elle sâest vengĂ©e ! Et malheur ! Elle va maintenant encore avec vengeance donner le tournis Ă mon Ăąme !
Mais pour que je ne tourne pas, mes amis, attachez-moi fortement Ă cette colonne ! Je prĂ©fĂšre encore ĂȘtre un stylite que le tourbillon de la vengeance !
En vĂ©ritĂ©, Zarathoustra nâest pas un vent tournoyant et tourbillonnant ; et quand il est un danseur, plus jamais un danseur de tarentule ! â
Parole de Zarathoustra.
***
Il sâagit lĂ de la suite de la retraduction commentĂ©e et littĂ©rale du Zarathoustra de Nietzsche. SeptiĂšme chapitre de la « DeuxiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra ». Les prĂ©cĂ©dents se trouvent ici.