SI JAMAIS J’AI BU LA VIE Ă grands traits⊠Si jamais je me suis abreuvĂ© du riche, Ă©picĂ© et Ă©cumant mĂ©lange que contient cette immense cruche quâest la vie⊠Si jamais jâai incorporĂ© ce mystĂ©rieux et goĂ»teux mĂ©lange oĂč toutes les choses ont non seulement leur place, mais sâenrichissent, sâexcitent et sâinterpĂ©nĂštrent mutuellementâŠ
Si jamais, rempli de cette intensitĂ© et harmonie de vie, ma main sâest attelĂ©e Ă unir les contraires⊠Si jamais elle sâest mise Ă arroser les choses a priori contradictoires pour les faire pousser ensemble⊠Si jamais elle a fondu le plus lointain dans le plus proche, et le feu dans lâesprit, et le plaisir dans la souffrance, et le pire dans le meilleur⊠Si jamais elle a par lĂ fait Ă©clater les structures, images et idĂ©es traditionnelles, qui nâont de cesse de sĂ©parer chaque chose de toutes les autresâŠ
Si je suis par lĂ moi-mĂȘme devenu un grain de ce sel libĂ©rateur de vie et rehausseur de goĂ»t qui fait que toutes les choses se mĂ©langent bien comme il faut dans la cruche Ă mĂ©langes quâest la vieâŠ
â Car il existe un tel sel libĂ©rateur de vie, une pensĂ©e qui surmonte nos oppositions binaires et parvient Ă rĂ©unir toute chose ; y compris sur le plan moral, pour ce qui concerne le bien et le mal. Oui, grĂące Ă ce sel libĂ©rateur, grĂące Ă cet engagement pour la vie, mĂȘme ce qui est a priori considĂ©rĂ© comme le plus mĂ©chant, le plus mauvais, le plus dangereux, sâavĂšre tout compte fait utile : digne de servir dâĂ©pice, de rehausseur de goĂ»t, dâintensificateur de vie ; tellement que câest finalement lui qui permet le suprĂȘme enrichissement, la suprĂȘme excitation et interpĂ©nĂ©tration, lâultime dĂ©bordement dâĂ©cumeâŠ
Si jamais jâai avalĂ© comme ça la vie Ă grands traits, si jamais je mây suis plongĂ©, je mâen suis nourri et ai prolongĂ© son mouvement libĂ©rateur, ĂŽ comment pourrais-je ne pas ĂȘtre dĂ©sireux dâĂ©ternitĂ©, sensuellement, sexuellement attirĂ© par le nuptial anneau des anneaux, lâanneau de lâĂ©ternel retour du mĂȘme ?
Jâai beau avoir cherchĂ©, jamais je nâai trouvĂ© la femme avec qui je voulais faire des enfants ; jamais je nâai aimĂ© de femme au point de vouloir, avec elle, perpĂ©tuer mon genre et faire des enfants ; ne serait-ceâŠ, ne serait-ce avec cette seule femme que jâaime de fond en comble : lâĂ©ternitĂ©. Il nây a quâavec elle, quâavec lâĂ©ternitĂ© et pour lâĂ©ternitĂ© que je veux faire des enfants, que je veux perpĂ©tuer mon genre et donner naissance Ă de beaux enfants, de beaux enfants remplis de force, de maĂźtrise et de joie. Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité ! Et avec toi et pour toi je veux tout faire ; avec toi et pour toi je veux produire le meilleur, avec toi et pour toi je veux avancer en direction du surhomme, je veux contribuer Ă la naissance du surhomme !
Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !Â
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Traduction littérale
Si jamais jâai bu Ă grands traits de cette Ă©cumante cruche Ă Ă©pices et Ă mĂ©langes dans laquelle toutes les choses sont bien mĂ©langĂ©es :
si jamais ma main a coulé le plus lointain au plus proche, et le feu en esprit et le plaisir en souffrance et le pire en meilleur :
si je suis moi-mĂȘme un grain de ce sel rĂ©dempteur qui fait que toutes choses se mĂ©langent bien dans la cruche Ă mĂ©langes : â
â car il existe un sel qui lie le bien et le mal ; et aussi le plus mĂ©chant est digne de servir dâĂ©pice et au dernier dĂ©bordement dâĂ©cume : â
ĂŽ comment ne devrais-je pas ĂȘtre dĂ©sireux dâĂ©ternitĂ© et du nuptial anneau des anneaux, â lâanneau du retour ?
Jamais encore je nâai trouvĂ© la femme dont je voudrais des enfants, ne serait-ce cette femme que jâaime : car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !
Car je tâaime, ĂŽ Ă©ternité !
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Il sâagit ci-dessus de la quatriĂšme partie « Des sept sceaux » (seiziĂšme chapitre) de la « TroisiĂšme partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement rĂ©investi (en haut) et traduction littĂ©rale (en bas). Les prĂ©cĂ©dents chapitres et parties se trouvent ici.