Les sept sceaux-4SI JAMAIS J’AI BU LA VIE à grands traits… Si jamais je me suis abreuvé du riche, épicé et écumant mélange que contient cette immense cruche qu’est la vie… Si jamais j’ai incorporé ce mystérieux et goûteux mélange où toutes les choses ont non seulement leur place, mais s’enrichissent, s’excitent et s’interpénètrent mutuellement…
Si jamais, rempli de cette intensité et harmonie de vie, ma main s’est attelée à unir les contraires… Si jamais elle s’est mise à arroser les choses a priori contradictoires pour les faire pousser ensemble… Si jamais elle a fondu le plus lointain dans le plus proche, et le feu dans l’esprit, et le plaisir dans la souffrance, et le pire dans le meilleur… Si jamais elle a par là fait éclater les structures, images et idées traditionnelles, qui n’ont de cesse de séparer chaque chose de toutes les autres…
Si je suis par là moi-même devenu un grain de ce sel libérateur de vie et rehausseur de goût qui fait que toutes les choses se mélangent bien comme il faut dans la cruche à mélanges qu’est la vie…
– Car il existe un tel sel libérateur de vie, une pensée qui surmonte nos oppositions binaires et parvient à réunir toute chose ; y compris sur le plan moral, pour ce qui concerne le bien et le mal. Oui, grâce à ce sel libérateur, grâce à cet engagement pour la vie, même ce qui est a priori considéré comme le plus méchant, le plus mauvais, le plus dangereux, s’avère tout compte fait utile : digne de servir d’épice, de rehausseur de goût, d’intensificateur de vie ; tellement que c’est finalement lui qui permet le suprême enrichissement, la suprême excitation et interpénétration, l’ultime débordement d’écume…
Si jamais j’ai avalé comme ça la vie à grands traits, si jamais je m’y suis plongé, je m’en suis nourri et ai prolongé son mouvement libérateur, ô comment pourrais-je ne pas être désireux d’éternité, sensuellement, sexuellement attiré par le nuptial anneau des anneaux, l’anneau de l’éternel retour du même ?
J’ai beau avoir cherché, jamais je n’ai trouvé la femme avec qui je voulais faire des enfants ; jamais je n’ai aimé de femme au point de vouloir, avec elle, perpétuer mon genre et faire des enfants ; ne serait-ce…, ne serait-ce avec cette seule femme que j’aime de fond en comble : l’éternité. Il n’y a qu’avec elle, qu’avec l’éternité et pour l’éternité que je veux faire des enfants, que je veux perpétuer mon genre et donner naissance à de beaux enfants, de beaux enfants remplis de force, de maîtrise et de joie. Car je t’aime, ô éternité ! Et avec toi et pour toi je veux tout faire ; avec toi et pour toi je veux produire le meilleur, avec toi et pour toi je veux avancer en direction du surhomme, je veux contribuer à la naissance du surhomme !
Car je t’aime, ô éternité !
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Traduction littérale
Si jamais j’ai bu à grands traits de cette écumante cruche à épices et à mélanges dans laquelle toutes les choses sont bien mélangées :
si jamais ma main a coulé le plus lointain au plus proche, et le feu en esprit et le plaisir en souffrance et le pire en meilleur :
si je suis moi-même un grain de ce sel rédempteur qui fait que toutes choses se mélangent bien dans la cruche à mélanges : –
– car il existe un sel qui lie le bien et le mal ; et aussi le plus méchant est digne de servir d’épice et au dernier débordement d’écume : –
ô comment ne devrais-je pas être désireux d’éternité et du nuptial anneau des anneaux, – l’anneau du retour ?
Jamais encore je n’ai trouvé la femme dont je voudrais des enfants, ne serait-ce cette femme que j’aime : car je t’aime, ô éternité !
Car je t’aime, ô éternité !
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Il s’agit ci-dessus de la quatrième partie « Des sept sceaux » (seizième chapitre) de la « Troisième partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici.