DÈS LE BERCEAU, l’entourage de l’enfant promeut de manière inconsciente, larvée, voire mensongère, les idéaux traditionnels qui ont cours partout : idéaux de bonté, de beauté, de vérité, et par suite de stabilité, de bonheur, d’amour, de réussite, de puissance, etc.
Pris qu’il est dans les filets du langage, l’instinct maternel lui-même prépare le terrain. Certes, la plupart des gestes et réflexes de maman sont purement instinctifs (de l’ordre de l’être vivant pulsif qu’elle est), toutefois, à peine elle parle, raconte ou explique quelque chose, elle le fait dans les structures dualistes et à partir des images et idées traditionnelles. Elle plante par là de premières graines de logique prédicative, idéaliste et morale dans la tête de son rejeton. Il suffit ensuite que les graines soient arrosées pour qu’elles germent et croissent en direction de la vision objectiviste, déterminatrice, causaliste et moraliste qui caractérise le monde adulte.
De plus, considéré qu’il est comme la prunelle de leurs yeux, le rejeton est automatiquement regardé avec des lunettes idéalisatrices par ses parents : comment le mélange des qualités de papa et de maman ne serait-il pas une réussite ? Comment se pourrait-il que le chérubin ne soit pas le plus beau et le plus intelligent du monde ? Prisonniers d’idées toutes faites, la plupart des parents ne peut se retenir d’abreuver l’enfant de mille et un compliments et de le doter de mille une qualités qu’il ne mérite et ne possède guère. Et voilà que l’enfant se fait une image des plus positives et avantageuses de lui-même.
Une image forcément problématique lorsqu’elle est confrontée à la réalité. Image qu’il essaie alors par tous les moyens de sauvegarder et renforcer, quitte à se rassurer par quelque mensonge. Pour ne pas perdre pied. Acte pour lequel il sera sans autres soutenu par ses parents, ainsi d’ailleurs que par tout adulte qui se respecte, qui préférera lui aussi mentir plutôt que de décevoir le délicieux bambin en lui dévoilant la vérité. L’enfant a ainsi toutes les chances de grandir en s’appuyant sur une image et idée erronée de lui-même ; image et idée qui n’est somme toute qu’une fiction idéaliste plaquée sur la réalité. Fiction idéaliste sur laquelle repose finalement tout rapport au monde et toute entreprise au sein de ce dernier.
De tout temps, les interactions humaines sont marquées par un consensus généralisé de gentillesse et d’hypocrisie venant stimuler l’image qu’on se fait se soi-même. Pour le bien des convenances – ou simplement par peur –, « tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil » ; au moins en présence de la personne en question. Chacun y va ainsi de ses petits et gros mensonges idéalisant, tant pour faire plaisir que pour plaire. Difficile, dans cette situation, de cultiver ses sensations et son imaginaire propres, et partant de s’appuyer sur son intelligence instinctive dans sa relation aux gens et dans son rapport au monde.
L’enfant se trouve par là entouré par tout un complexe structurel idéalisant. Ce dernier le façonne au point qu’il lui est tout bonnement impossible de douter du bien fondé de ce qu’on lui dit, d’abord à la maison, ensuite à l’école, et ce tant sur lui-même que sur le monde. Fort de son succès familial, voire social, l’enfant ne peut faire autrement que s’illusionner : en plus de se croire doté de qualités qu’il ne possède pas, il se voit contraint d’employer tous les moyens possibles et imaginables pour faire correspondre la réalité aux images et aux idées qu’on lui a enfoncées dans la tête ; à grand renfort de cosmétique, de médicaments, de technologie et autres mensonges s’il le faut. Images et idées qui, parce que reprises aux canons traditionnels, ont d’ailleurs toutes les chances d’être quasi les mêmes pour tous.
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Il s’agit là du sixième article de la série. Le suivant porte sur la désensibilisation liée à la promotion tout azimut de l’idéal.