SI L’ENFANT ACCOMPAGNE spontanément le mouvement des phénomènes ou sensations qui lui arrivent, s’il suit en toute innocence et insouciance ses pulsions, il prend avec le temps pour habitude de tout interpréter à l’aide des outils mis à dispositions par la raison qu’on lui inculque dès son plus jeune âge.
Quelles que soit les situations, les phénomènes et événements, il en vient à les traiter à l’aide des structures, idées et autres images traditionnelles qu’on lui a appris à utiliser comme guides de vie. A propos de tout ce qui se passe – tout ce qui lui arrive, l’entoure et le traverse, tout ce qui lui fait peur ou l’étonne –, il acquiert pour réflexe de se poser la question de savoir ce que c’est et pourquoi il en est ainsi. Il cherche autrement dit à le mettre en lumière, à le dévoiler en sa vérité stable et constante.
En procédant de la sorte, il met automatiquement les phénomènes et événements à distance : il les rationalise, les objective, les analyse, les compare à ce qu’il connaît ou croit connaître. En ce sens, il les interprète : il les délimite, les explique, les catégorise, leur donne une signification et s’en fait une image et idée claires, qui font échos à celles qu’il possède déjà. En cherchant à les comprendre, il les fixe et s’en rend maître, renforçant par là sa stabilité et son assurance dans le monde.
Et voilà que le monstre, la nuit, dans sa chambre, s’avère n’être qu’un tas d’habits rangés sur sa chaise ; et l’amour la sensation étrange, dans le bas-ventre, en présence d’une certaine personne…
Il en va de même quant à ses actions : que ce soit à titre privé, individuel ou général, il ne vise pas tant, dans ce qu’il fait et entreprend, à vivre, expérimenter ou partager quelque chose, qu’à réaliser les buts qu’il s’est préalablement donnés. C’est ainsi que la majeure partie de son existence consiste en la tentative toujours renouvelée de dévoiler la vérité et de réaliser ses rêves. Comme déjà dit, volontiers à l’aide des sciences et de technique, qui facilitent toujours davantage le processus. Buts et rêves qui, façonnés qu’ils sont par les idées et images traditionnelles implantées et favorisées dans notre esprit, sont en outre quasi les mêmes pour tous : quête de jouissance, de richesse, de réussite, de beauté, d’amour et de bonheur… formatés.
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Aides
En tant que dévoilement – action d’expliquer, de donner une signification claire à quelque chose d’obscur –, l’interprétation est à la fois une production de vérité(s) : un moyen de stabiliser les phénomènes et de s’en rendre maître.
Il existe deux types d’interprétation : l’interprétation inconsciente, d’ordre biologique, organique, qui se joue au niveau de l’instinct, soit de la grande raison du monde, qui cherche partout et de tout temps la santé, l’équilibre et la croissance du tout. Et l’interprétation consciente, d’ordre intellectuel, qui a lieu au niveau de l’entendement, soit de la petite raison individuelle, qui cherche le dévoilement et la réalisation de vérités (ou d’idées) abstraites. Toutes deux visent à devenir le maître des phénomènes et événements qui surviennent. Par l’éducation, la première a tendance à céder sa place à la seconde.
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Il s’agit là du huitième article de la série. Le suivant porte sur le passage du jeu au sérieux lié à la progressive inversion de l’instinct et de la raison.