Le_Cousin_(rivière)L’AUTRE JOUR, ALORS QUE JE ME PROMENAIS tranquillement dans la forêt, le long d’une grosse rivière, il m’est arrivé quelque chose de très étonnant, ce quelque chose de mystérieux et jubilatoire qui nous arrive parfois dans nos existences.

Tout à coup, je ne sais pas ce qui m’a pris, ce qui m’a appelé, tiré, poussé ; tout à coup il a fallu que je traverse la rivière. Sans la moindre hésitation ni raison – c’est là le mystère –, je devais aller voir là-bas, de l’autre côté, si j’y étais.

Et me voilà qui ai bondi en avant, sauté de pierre en pierre, de possibilité en possibilité, sans même me demander si je n’allais pas glisser, si ce n’était pas dangereux et si je n’allais pas me retrouver étalé dans l’eau glacée.

J’ai passé comme ça, en toute légèreté, porté par je ne sais quelle force surpuissante, quel espoir et quelle confiance par-dessus toute une série de cailloux, à vrai dire plus glissants et instables les uns que les autres.

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Fantaisie par Michysos
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Et voilà que je me suis retrouvé, comme un con, de l’autre côté de la rivière. En même temps surpris et riant de ce que je venais de faire, d’avoir été pris par cette force irrésistible, d’avoir foncé sans me poser la moindre question ; et d’avoir réussi ce que jamais, sinon, je n’aurais réussi.

Je le dis parce que, une fois de l’autre côté, c’était tout à coup beaucoup moins rigolo. J’étais coincé. Oui, il m’a fallu un temps inimaginable pour réussir à revenir. La verve, l’enthousiasme avait disparu. Loin de pouvoir revenir, en toute légèreté, de pierre en pierre, je me suis mis à me demander comment il fallait que je fasse, par où j’étais passé la première fois, quels cailloux avaient bien tenus, lesquels moins, etc.

Bref, je me suis mis à réfléchir : à calculer, à mesurer les risques, les dangers – et finalement… à me mettre à charrier des tonnes de cailloux et la moitié de la forêt pour assurer mes appuis. Pour enfin, après je ne sais combien de temps et d’efforts, péniblement parvenir à rebrousser chemin.

C’est comme ça : on est pris par deux tendances ou pulsions. L’une magique, illogique, fantaisiste, imaginative, capable de nous élever au-dessus de nous-mêmes, de décupler nos forces, notre sensibilité, notre habileté, notre intelligence ; de libérer corps et esprit de l’autre tendance ou pulsion, qui nous travaille et qu’on nous fait travailler la plupart du temps : tendance plus… lourde, plus systématique, plus méthodique, plus problématique, qui nous fait faire les choses avec prudence, rigueur et application. Et qui nous fait froncer les sourcils et nous pousse toujours et partout à éviter les risques et à assurer nos arrières…

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