HODLERUn jeudi sur deux, le Dr. Ludovic MietZsche (GRE/CHN/FRA/GER/GBR/USA) vous rappelle quelques fondamentaux de la philosophie traditionnelle. Non sans dévoiler en même temps, dans les plis et replis négligés par notre vision idéaliste, quantité de perspectives cachées, tant nouvelles qu’anciennes. Cette semaine, il s’occupe de la… « vérité » !

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La « vérité » est un des mots fondamentaux de la philosophie. L’enjeu est aujourd’hui de le décortiquer : d’abord en nous intéressant à son origine étymologique, puis, plus en amont, à l’idée même de « vérité » telle qu’elle s’est faite jour à l’aube de notre tradition.

Selon l’étymologie, le mot « vérité » provient du latin veritas, participe passé du verbe vereri, qui signifie avoir une crainte respectueuse, révérer, respecter, appréhender et craindre. La « vérité » est ainsi ce qui est appréhendé avec respect, ce qu’on vénère avec une certaine crainte. Etymologiquement, le mot « vérité » signifie donc quelque chose qu’on place très haut, devant lequel on se plie et qu’on traite avec respect et une certaine dignité morale.

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Dr. Mietzsche: la vérité par Michysos

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Pourquoi ? Pour le comprendre, pour comprendre ce qu’est d’abord et avant tout la vérité, il faut revenir au mot grec, que les Romains ont traduit par veritas. Or ce mot est alètheia : terme qui consiste en deux parties : un alpha privatif, et -létheia, qui appartient au substantif léthe, qu’on traduit par oubli et qui signifie aussi le fleuve de l’oubli, dans l’Hadès, c’est-à-dire le fleuve de la mort (du retrait le plus complet dans l’absence) – fleuve qui, selon les témoignages mythologiques, fait oublier aux disparus, aux défunts, tout ce qu’ils ont vécu sur terre.

Il est à noter que le terme léthe lui-même est le substantif du verbe lanthánein, qui ne signifie pas seulement être oublié, caché, voilé, occulté, mais en même temps aussi être protégé et abrité. On a tendance à l’oublier, mais il en est bien ainsi : ce qui est caché, ce qui est voilé est en effet toujours en même temps protégé et abrité.

Nous pouvons donc dire que la signification première, fondamentale et littérale du terme grec pour « vérité », du terme a-létheia – nous le déduisons en reprenant les deux parties du mot – est celle de dé- (alpha privatif) -voilement, dés-occultation, dés-abritement. Au sens donc de l’enlèvement du voile, de la privation de l’occulté, de la sortie de l’oubli, ou encore de l’arrachement de l’abri.

Ce qui revient à dire que la « vérité » au sens grec n’est pas quelque chose de fixe, de stable et constant, mais un processus en perpétuel devenir : processus qui n’est autre que celui de la vie ou phusis, comme mouvement d’apparaître à la lumière, de venir à la présence, d’éclore au grand au jour à partir de ce qui se retire dans l’absence et repose, caché, dans l’obscurité de la nuit. Aristote lui-même le dit : phusis et aletheia, nature et vérité, sont des termes interchangeables : tous deux disent au fond la même éclosion à partir des profondeurs cachées. Bien sûr, les choses ont bien changé depuis…

En guise de remarque terminale, il est particulièrement intéressant de relever que le processus de la vérité, loin d’être positif, est bien plutôt négatif. Contrairement à ce que nous faisons aujourd’hui, les Grecs expérimentaient en effet la dimension « léthique », obscure, cachée, voilée – la dimension de la souffrance et de la mort –, comme le proprement positif dans le processus ou mouvement d’apparaître. Ce qui se montre, ce qui existe est en effet l’arrachement de cette dimension-là.

Les Grecs savaient ce que nous ne savons plus, ce que nous avons oublié depuis : que tout ce qui se retire à la vue, que tout ce qui est voilé, oublié, caché, est en même temps abrité et donc protégé. Au sens où le retrait, l’abri – et même la souffrance, la mort – est la source inaliénable, la ressource même de tout ce qui se montre et vit, et donc de tout le processus d’apparition à la lumière : autrement dit de toute phusis et de toute vérité.

Aussi lointaine qu’elle puisse nous paraître, cette entente et expérience de la vérité, de la phusis et de la vie en général, il faut pour sûr y avoir un rapport de vénération et de crainte respectueuse, pour mieux la méditer et réalimenter aujourd’hui.

Pour que vive la phusis – et que ce ne soit pas la catastrophe.

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