Repenser l’universel

LabyrinthesQuand on parle aujourd’hui d’universel, il s’agit d’un universel abstrait, d’origine métaphysique : l’universel comme idée en soi, préalablement donnée. Est universel ce qui se trouve partout, dans le monde entier, au même titre : par exemple la gravitation, la raison, les droits de l’homme, la science, la technique, etc.

Quiconque est allé à l’école n’est pas seulement formé à l’idéalisme, mais encore à l’universalisme : il possède une vision du monde standardisée par l’idée d’universel ; vision logico-rationnelle, pragmatique, valable a priori, de tout temps et pour tout un chacun. Quoi qui se joue, nous l’appréhendons à partir de cet universel, qui nous permet de le cerner et classer une fois pour toute en bonne et due forme.

Ce faisant, nous réduisons sans le savoir la complexité des phénomènes et des sensations à une peau de chagrin : nous aplatissons, stérilisons, standardisons la moindre de nos expériences. Nous négligeons les infinies nuances, richesses, ressources et connexions de toutes choses.
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C’est ainsi que se joue la mondialisation, ou globalisation : par écrasement des innombrables possibilités par imposition tout azimut de modèles universels. Triomphe des grandes idées, des grands événements, des grands groupes, des grandes chaînes, de nourriture, de presse, de transport, de boisson, de logement, de sport, de culture, etc. Avec, à la base, l’anglais et le langage informatique comme langue véhiculaire. Le tout très pratique, très facile d’accès, très sûr, très beau, très bien, très excitant et pas cher du tout : la mondialisation bienheureuse.

Cette globalisation standardante, qui devient de plus en plus massive aujourd’hui, implique deux autres conséquences, l’une abstraite, l’autre concrète. Sur le plan abstrait, l’universalisme engendre, en réaction, en son sein même, le relativisme mou : la pensée paresseuse qui, se défendant de toute référence à un absolu, s’agite en tous sens. Et sur le plan concret le régionalisme outré, où chacun se replie sur son lopin de terre et sa spécialité, en distinction de toutes les autres possibilités.

Tel est notre monde, à deux temps et deux vitesses : il y a en même temps une immense machine universalisatrice qui tourne toujours plus vite, qui écrase et consomme de plus en plus systématiquement toute nuance, toute possibilité, toute ressource. Et en même temps d’innombrables minuscules machines particularisantes, qui carburent à fond pour sauvegarder les différences, sans même remarquer qu’elles alimentent, a contrario, le jeu du système universaliste.

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Il s’agit aujourd’hui de penser un autre universel, de travailler sur l’idée d’un autre universel. Non pas abstrait, métaphysique, absolu, mais concret et physique. Un universel rebelle, régulateur et conducteur lui aussi, mais non pas à partir d’en haut, de la raison et des claires idées, mais à partir d’en bas : de la sensibilité (esthétique). Un universel débordant de richesse, qui n’a rien à voir avec l’universalisme et sa prétention de tout voir, de tout savoir et de tout pouvoir. Un universel qui n’est pas donné d’avance, dans notre pensée, mais qui est toujours à découvrir à nouveau, au fond de chaque phénomène, au fond de chacun d’entre nous. Non pas l’universel de la standardisation, qui fait sombrer dans l’ennui d’un uniforme sans pensée, mais un universel du divers, comme ressource de multiples pensées, cohérences et possibilités d’existences insoupçonnées.

Voir aussi : François Jullien, De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Fayard, 2008.

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Un jeudi sur deux, le Dr. Ludovic MietZsche (GRE/CHN/FRA/GER/GBR/USA) vous rappelle quelques fondamentaux de la philosophie traditionnelle. Non sans dévoiler en même temps, dans les plis et replis négligés par notre vision idéaliste, quantité de perspectives cachées.

Retrouvez la chronique précédente ici.

2 Comments

  1. Wahouh… Phusis se met à parler d’universel, grande ouverture sur le monde! Je pense que le sujet mérite d’être approfondi comme il se doit, car ne sont dans cet article que des prémices…
    A propos de l’éducation et de l’imposition d’une vision unique du monde: es-tu sûr qu’au Japon, au Mali, en Guinée, en Irlande, on apprenne vraiment la même chose à ce point-là? N’y a-t-il pas tout de même des différences dans l’enseignement du rapport au monde?

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