Le point-virgule, vous connaissez certainement. Vous savez ce point situé exactement au-dessus d’une virgule qu’on place à la fin d’une phrase, quand on veut marquer une pause, plus grande qu’une virgule, et moins forte qu’un point. Mais vous n’avez peut-être pas entendu que le point-virgule est en voie d’extinction. Comme l’albatros des Galapagos et le tigre de Sumatra, le point-virgule risque de disparaître de la surface de la terre, si on ne le sauvegarde pas…
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Point-virgule RComme l’indique le trait d’union entre les deux termes du mot, le point-virgule est un entre-deux : il marque une pause, une suspension, une respiration, un souffle plus grand qu’une virgule, mais moins nette qu’un point. Une pause « de moyenne durée », comme l’indique Grevisse, dans Le bon usage, LA grande référence en matière de grammaire française (Bruxelles : De Boeck). Il nous apprend que le point-virgule a somme toute deux fonctions :
- Tantôt, rappelle Grevisse, le point-virgule joue le rôle de virgule, pour séparer une suite d’éléments coordonnés, surtout lorsqu’un des éléments est déjà subdivisé par une ou plusieurs virgules. Comme par exemple dans l’art. 79 du Code civil (drôle d’exemple de Grevisse lui-même) : « L’acte de décès contiendra les prénoms, nom, âge, profession et domicile de la personne décédée ; les prénoms et nom de l’autre époux, si la personne décédée était mariée ou veuve ; les prénoms, nom, âge, profession et domicile des déclarants ; et, s’ils sont parents, leur degré de parenté. » On le voit bien : le point-virgule sépare une suite d’éléments coordonnés, et ce pour plus de clarté.
- Mais ce n’est pas tout : tantôt, rappelle le même Grevisse, le point-virgule unit des phrases grammaticalement complètes, mais logiquement associées. Comme par exemple au début du Rire de Bergson: « Il n’y a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain, écrit-il. Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il ne sera jamais risible ». Les deux phrases sont certes séparées, mais liées en même temps.
Et Grevisse lui-même de signaler alors que certains auteurs considèrent le point-virgule comme un signe superflu, inutile ; non sans ajouter – et c’est là très intéressant – qu’en se limitant au point et à la virgule, il semble pourtant qu’on se prive d’un moyen d’exprimer sa pensée avec plus de… nuances.
Ah, les nuances, on y revient toujours ! Et nous ne sommes par bonheur pas les seuls à nous y intéresser, à nous en occuper, envers et contre tout, corps et âme ! Même s’il existe tout un système, d’une formidable puissance, qui veut nous faire croire le contraire : dans la vie, dans la nature, dans la vraie vie et vraie nature ici et maintenant, tout est question de nuances, de tonalités, d’écarts, de différences de degrés, plus ou moins marqués, le plus souvent des plus légers, des plus subtiles, quasi insignifiants, comme les battements d’ailes d’un papillon. Degrés, tonalités et écarts d’une grande richesse et délicatesse que ledit système, avec sa structure binaires, ses idées et concepts d’une pièce, ses images et désirs préfabriqués, sa puissance massive, a toujours de nouveau tendance à écrabouiller…
Bien sûr, il est triste que l’albatros des Galapagos, et le tigre de Sumatra et quantité d’autres espèces animales soient en voie d’extinction, mais que pouvons-nous y faire ? Pas grand-chose, pour dire la vérité ! Par contre, il en va tout autrement pour ce qui est des points-virgules – et des nuances en général. Que ce soit dans notre pensée, notre manière de nous exprimer, nos actions, notre rapport à nous-mêmes, aux gens, au monde, nous avons à vrai dire une grande marge de manœuvre. Il suffit de nous engager.
Nous engager contre ledit système qui, au nom de la facilité, de l’utilité, de la productivité, de la communication, voire même du bonheur pour tous, est prêt à tout écraser sur son passage, jusqu’à la moindre nuance, jusqu’au moindre point-virgule.
Oui, efforçons-nous de sauvegarder tous ce qui, dans ce monde, permet de favoriser les nuances. Battons-nous où on le peut en faveur de la « biodiversité » – et contre l’appauvrissement généralisé, la standardisation, la stérilisation, l’informatisation, l’anglicisation, l’uniformisation qui s’immisce jusque dans la langue française et par suite dans notre pensée !
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Pendant plusieurs mois, tous les mardis, PHUSIS donnait une perspective phusique à une actualité, un événement, un extrait de texte, une pensée, une sensation, un problème ou n’importe quel phénomène jubilatoire ou inquiétant de notre monde formidable. Le matin, à 6h30, un phusicien postait un bref article, sous forme de question à méditer. A midi, PHUSIS proposait une réponse et mise en perspective.
C’est toujours chouette, ces chroniques du mardi. Ca donne un autre son de cloche à ce qui est finalement toujours le même et que dévoile la phusis depuis un moment maintenant: le fond mystérieux et tragique de l’existence.
Un autre signe de ponctuation me paraît être en danger : le tiret (« -« ), qui sert à ajouter un élément, une précision, une nuance là aussi à la phrase. Comme dans ta phrase « Battons-nous où on le peut en faveur de la « biodiversité » – et contre l’appauvrissement généralisé, la standardisation, la stérilisation, l’informatisation, l’anglicisation, l’uniformisation qui s’immisce jusque dans la langue française et par suite dans notre pensée ! ».
C’est toute la richesse grammaticale de la langue française qu’il s’agit de sauvegarder!
Ah, quel bonheur de découvrir ce billet sur Phusis ! Je suis une grande amoureuse du point-virgule, ce magnifique signe de ponctuation que j’utilise peut-être à outrance d’ailleurs et ce, tant en français qu’en anglais.
Protégeons le point-virgule jusqu’à notre dernier souffle, et ne cédons point ! Et puis, protégeons aussi le tiret (vous avez raison Romanysos d’insister là-dessus !), qui menace de même de tirer sa révérence, vaincu par les chars d’assaut des bien-pensants de la novlangue !
Nul doute que nous ne sommes pas prêts de refermer la parenthèse sur ce sujet !