Suite de la plongée dans le paragraphe 125 du Gai savoir de Friedrich Nietzsche.
Loin de toute profession d’athéisme, loin de toute prétendue non-existence de Dieu, la mort de Dieu que profère l’homme fou sur la place du marché – mort de Dieu consécutive au chosisme, au pragmatisme, à utilitarisme, à l’égoïsme scientifique des hommes devenus de plus en plus hostiles à tout mystère et toute zone d’ombre –, loin de toute athéisme rieur, la mort de Dieu est bien plutôt un constat tragique.
Constat qui rappelle d’abord que tout, dans cette vie, est « phusiquement déterminé » : que chaque phénomène apparaît un jour, vit pour un temps, avant de disparaître de nouveau ; que la mort fait partie intégrante de la vie ; et que, une fois mort, tout se décompose, se putréfie : verwest, dit l’allemand, c’est-à-dire décline, se consume (ver-), et perd finalement son essence (Wesen).
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Or il n’en va pas autrement des dieux, y compris bien sûr de notre dieu, le Bon Dieu, et des valeurs qu’il incarne. Ils sont apparus un jour, ont vécu un temps, ont guidé les hommes, et ont fini par mourir ; et sont en train de se dé-com-poser, de se putréfier. Oui, ce n’est plus Dieu, à savoir l’Idée suprême et tout ce que l’optimisme théorique de notre tradition platonico-chrétienne, morale, a rangé sous ce vocable — grosso modo la trinité du vrai, du bien et du beau —, ce n’est plus ce Dieu ainsi compris qui façonne, qui imprègne, qui guide la vie et lui donne son sens, sa signification.
Tout le monde sera d’accord pour le dire : les valeurs suprêmes se dé-valorisent ; et nous errons comme à travers un néant infini, dans des structures, des idées, des valeurs vidées de leur contenu ; dans un climat toujours plus distant, toujours plus froid, toujours plus objectivant, toujours plus aveugle.
L’homme fou l’indique très clairement : comme toute chose morte, Dieu et les valeurs qu’il incarne doivent être enterrés : retourner à la terre. D’une part pour ne pas empester : tout ce qui se putréfie non seulement sent mauvais, mais attire également les bêtes sauvages. D’autre part pour ne pas empêcher de nouvelles naissances divines ; et donc pour permettre à de nouveaux dieux, de nouvelles valeurs d’apparaître.
Car attention : en restant agrippé au mort, au passé, on inhibe et empêche toute vie nouvelle.
Par son énoncé de la mort de Dieu – du meurtre de Dieu par les hommes –, l’homme fou présente ce que Nietzsche appelle le « nihilisme » : le fait que le nihil, le rien, le néant s’avère être l’essentiel (-isme) :
« Nihilisme : le but fait défaut ; la réponse au « pourquoi ? » fait défaut ; que signifie nihilisme ? — que les valeurs suprêmes se dévalorisent. » (Fragments posthumes, Automne 1887-mars 1888, 9 [35])
Les valeurs suprêmes de notre tradition – valeurs du bien, du beau, du vrai – que nous avons cru être tout, ont progressivement perdu leur force configurante pour finalement s’avérer n’être rien.
Constat tragique : tout but (téléologique, post-mortem), toute réponse (causale, rationnelle) au pourquoi fait désormais défaut : « l’horizon tout entier est effacé ». Nos guides de lumière, nos clés de lecture – métaphysiques, morales – s’avèrent n’être que des idées abstraites, sans contenu véritables : des fictions, des erreurs ; s’avèrent n’être rien, être de purs et simples néants !
Tel est le constat tragique que fait l’homme fou sur la place du marché. La suite du paragraphe 125 du Gai savoir de Nietzsche nous indiquera ce qu’implique tout compte fait pour l’homme le meurtre de Dieu.
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Un jeudi sur deux, le Dr. Ludovic MietZsche (GRE/CHN/FRA/GER/GBR/USA) vous rappelle quelques fondamentaux de la philosophie traditionnelle. Non sans dévoiler en même temps, dans les plis et replis négligés par notre vision idéaliste, quantité de perspectives cachées.
Retrouvez la chronique précédente ici.
Au début, j’avoue, j’étais quelque peu sceptique. Un texte, on le lit; on n’a pas besoin de le regarder et de l’entendre, non?
Mais après le numéro 1, le numéro 2, et là le numéro 3, j’avoue aussi, par sa mise en mots sonore, par son interprétation vivante, le tout prend de l’ampleur, de la force, appelle et pénètre davantage.
Merci Dr. L. MietZsche pour votre travail!
Ah oui, mais non, mais non !!!
Non, parce que tout n’est pas physiquement déterminé : d’une part,tout phénomène dépend de causes et conditions, tant pour son « apparition » que pour sa « disparition », et que, d’autre part, nous ne sommes pas ce qui « apparait/disparait », nous sommes ce qui anime, « l’habitant » ce qui « apparait/disparait »… Lorsqu’un phénomène disparait, ce qui l’anime s’en retire comme une main d’un gant…
Il est important de préciser qu’en fait rien « n’apparait/disparait » vraiment, mais que tout se transforme. Les bouddhistes utilisent l’image des vagues de l’océan pour expliquer ce processus : les vagues n’ont pas d’existence propre, elles ne sont pas individuelles, ce sont seulement des manifestations de surface de l’océan tout entier…
Donc, nous croyons voir « apparaitre » car les conditions de notre perception limitée ne permettaient pas de voir auparavant et, de même, nous croyons voir « disparaitre », car les conditions de notre perception limitée ne nous permettent pas de voir au-delà…
Dieu ? J’aimerais mieux qu’on l’appelle autrement, ni Allah, ni Yahvé, ni Jéhovah, ni le Grand Soi, ni quoi que ce soit d’autre, car, d’abord, tous ces mots sont des notions associées à des religions et que, ensuite, ce sont de simples concepts : or, cette énergie « divine » ne saurait être conceptualisée car toute définition n’est pas la réalité ; en conséquence les concepts sont limités et erronés.
Pour tenter de résumer, je dirais que cette énergie est les acteurs,leur présence physique, leur spécificité à déclamer et jouer des personnages, leur conditions d’être, le texte, l’auteur du texte, les conditions d’être de l’auteur, la scène, les constructeurs de la scène, les décors, les auteurs des décors, le théâtre tout entier, les spectateurs, tout ce qui fait que tous peuvent être là rassemblés, l’air qu’ils respire, la nourriture qui les tient en vie, le bonheur ou le malheur dans lequel ils vivent et ainsi de suite, dans une interdépendance aussi merveilleusement riche qu’absolue : « Dieu » est une vacuité sans limite dans laquelle il peut s’exprimer sans limite ! Un vrai bonheur !
Si je me permettais de choisir au moins trois concepts qui le définissent, je dirais qu’il est amour inconditionnel et absolu, réponse en tant que connaissance complète et irréfutable et enfin lumière éclairante en tous lieux.
Son expression est une division permanente, car l’amour, la connaissance comme la lumière nécessitent un objet : on ne saurait aimer « rien », ni être aimé de « rien »… on ne saurait connaitre « rien » ni être connu de « rien »… on ne saurait éclairer « rien » ni être éclairé par « rien »…
« Dieu » est donc sans limite, de moins l’infini à plus l’infini, c’est-à-dire de la haine à l’amour en passant par l’indifférence tous trois jusqu’aux plus absolues manifestations. Il en va de même pour la connaissance et l’ignorance, la lumière et le ténèbres…
Les être sensibles sont des phénomènes particulièrement complexes, notamment au niveau de leur ordinateur central : leur cerveau, particulièrement celui des humains, est si sophistiqué, qu’il devient très vite persuadé d’exister en tant que tel, de manière individuelle et autonome. Cette manière de penser implique la croyance qu’ils sont le phénomène qu’ils habitent et que satisfaire les désirs matériels du-dit phénomène devient la priorité majeure, quel qu’en soit le prix pour le soi comme pour le reste du monde des phénomènes.
Voilà pourquoi le monde est ce qu’il est…
Discriminer le bien, le mal et tout le reste n’apporte que souffrance en soi et autour de soi : prendre conscience de ce que l’on est vraiment et favoriser le lâcher-prise permet la pacification propice à la compassion et l’amour inconditionnel, ce merveilleux retour au face à face avec le divin, cette fabuleuse respiration où l’aimant est aimé, la connaissance est connue et la lumières reflétée…
Sautez sur votre coussin, entrez en votre cœur à l’introspection et à la découverte et venez vite rejoindre, dans la béatitude, les bienheureux aimants aimés qui s’ennuient sans vous !