Jean-Pierre Bacri, l’acteur-bougon le plus exigeant, drôle et vivant du cinéma français est mort hier, bouffé par le crabe. Le 2 septembre 2012, il racontait à Frédéric Tadeï dans un Tête à tête pourquoi l’homme candide qu’il est a arrêté de se montrer sur les plateaux télé.
J’étais candide. Comme je faisais connaissance avec la notoriété, avec la possibilité de parler… comme je voulais… de choses importantes, j’étais candide et pensais… non pas que j’allais changer le monde, mais que c’était important que je dise les choses ; que si tous les moutons vont dans le même sens…
Je ne sais pas si je vous ai parlé du posters que j’avais pendant très longtemps chez moi ? C’est une foule de moutons, 400 ou 500 moutons, qui descendent le long d’une falaise, comme ça, qui se précipitent tous sur l’à-pic, qui se précipitent dans le vide, tous… Et dans ces 400 moutons, il y en a un qui remonte le courant, avec difficulté. Et la bulle, c’est : « Pardon, excusez-moi, pardon, excusez-moi… » Je me suis beaucoup senti ce mouton-là.
Il me semblait que j’apportais un truc, que je pouvais faire bouger les choses, et un jour je me suis aperçu à quel point – ben voilà – j’étais candide. Comment j’étais récupéré, comment on se faisait récupérer à vitesse grand V, comment on devenait une marionnette, c’est le cas de le dire. On devient un « guignol ». C’était d’ailleurs un des mots préférés de mon père, avant même que tout ça existe : quand il parlait de quelqu’un qui ne mérite pas ton estime, il disait : « C’est un guignol ».
Et c’est vrai : je me suis senti devenir un guignol, et je me suis dit « ne leur fait pas ce plaisir ! En quel honneur tu leur servirais la soupe dans je ne sais quelle émission télé de merde ? Pourquoi t’irais leur filer un point d’audimat de plus en allant faire ton numéro ? »
Et donc j’ai arrêté d’être candide.