Bonne nouvelle : la courbe de personnes infectées ou décédées en Suisse se stabilise à moins haut niveau et plus rapidement que prévu. Les mesures du Conseil fédéral font-elles des miracles ? Les épidémiologistes, dirigeants et médias grossissent-ils le trait ? Une mise en perspective des statistiques des morts va dans le sens d’un… non-événement en Suisse.
Notre situation est extraordinaire à tous points de vues. La tension est partout : notre liberté d’action – et de pensée ! – est plus limitée que jamais ; notre rapport à autrui et à la terre réduit à une peau de chagrin ; notre économie à l’arrêt. Quantité de petites entreprises ne survivront pas. Bon nombre d’individus, de couples, de familles verront leur équilibre déjà fragile irrémédiablement brisé.
Bonne nouvelle : la courbe de personnes infectées, hospitalisées et décédées se stabilise. Avec pour conséquence que les pressions politiques et économiques pour sortir du confinement augmentent. En même temps, les spécialistes de la santé affirment qu’un assouplissement des mesures est anticipé, comme Philippe Eckert, Directeur général du CHUV à Lausanne, mardi sur la RTS.
RTS : « mortalité hors norme » muée en pic « pas exceptionnel »
Alors que la population est depuis trois semaines informée heure par heure du nombre de cas et de morts (par région, par pays, par continent) liés au Covid-19, la mise en perspective chiffrée a jusqu’il y a peu fait défaut. Il y a une semaine, Daniel Gerny de la NZZ titrait « Corona-Peak in der Todesfallstatistik: In der Schweiz sterben bereits seit zwei Wochen mehr Leute als sonst üblich» (notre billet ici), pour s’étonner lui-même des résultats au fil de l’analyse. Idem une petite semaine plus tard à la RTS : Valentin Tombez titre « Une mortalité hors norme due au coronavirus déjà perceptible en Suisse » avant de constater un pic de morts « pour l’instant pas exceptionnel », plus ou moins dans la norme saisonnière et en-dessous de celui de la grippe de 2015.
Des chiffres pour éviter une épidémie de crédulité
La plupart des médias fait plus que jamais preuve de vue courte. Focalisés sur le Covid-19, ils ne font pas que manquer bon nombre d’informations majeures en situation normale, mais ont jusqu’ici omis de mettre ce qui nous arrive en perspective historique, chiffrée et critique. Le 6 avril, Laure Lugon fait office de pionnière dans les médias romands avec son article Quand l’Europe se moquait des épidémies dans Le Temps.
Bien entendu, les mesures du Conseil fédéral ont largement freiné la propagation de la maladie, le personnel hospitalier (a) fait un travail remarquable, mais la comparaison des chiffres est pour le moins étonnante :
- Tout au long de l’année, plus de 1000 personnes meurent chaque semaine en Suisse (OFS).
- En début d’année 2015 et 2017, la Suisse a enregistré plus de 1500 décès par semaine durant trois semaines consécutives
- Cette année, ce nombre a été inférieur jusqu’à fin mars (première semaine à 1500 décès).
- L’âge médian des patients suisses décédés du coronavirus est de 84 ans (OFSP, 8 avril 2020), alors que l’espérance de vie s’élève à 82,9 ans dans notre pays (moyenne mondiale : 71,4 ans).
- Quelque 10’000 morts hebdomadaires sont habituellement comptés dans les pays tels l’Espagne, la France, l’Italie (ined.fr)
- Selon le rapport statistique de l’Institut national italien de la Santé (ISS), l’âge moyen des morts en Italie testés positivement au Covid-19 est de 81 ans : 80% d’entre eux avaient au moins deux problèmes de santé chroniques, 50% au moins trois. Moins de 1% des personnes décédées étaient des personnes sans maladie chronique antérieure.
- A l’échelle du monde, 57 millions de personnes décèdent chaque année (dont 17 millions des suites de maladies infectieuses), soit 157’000 par jour.
Comme l’indique Laure Lugon dans son article en rappelant l’indifférence médiatique dans laquelle sont morts 35’000 Français durant la grippe de Honk-Kong en 1968/1969 (25’000 durant le seul mois de décembre 1968), la situation actuelle révèle « des changements profonds, touchant à notre rapport à la mort, à la maîtrise, à l’individualisme ». La crise du Covid-19 n’est-elle comme le dit le Prof. John Oxford de l’Université Queen Mary de Londres qu’une « épidémie médiatique » ?
#ObéissonsMaisOsonsPenser
Remarque : la situation que nous vivons est tellement extraordinaire que, pour un temps, la présentation de chiffres s’immisce sur PHUSIS. Un comble pour une philosophie convaincue que tout est interprétation. L’urgence et la lutte contre la peur sont de mise.