Covid-19 | La peur est l’ingrédient principal qui fait appliquer et surenchérir les consignes. Massivement diffusée par les autorités et les services publics, cette peur est-elle stratégique ? Quoi qu’il en soit, elle aura des répercussions terribles sur les individus et la société.
Une récente enquête de l’Institut français de l’opinion publique (IFOP) montre que plus de 80% des Français craignent le décès d’un proche en raison du coronavirus ; 65% leur propre mort. Ceci alors que les personnes à risques s’avèrent n’être « que » les personnes très âgées, en surpoids, surtension ou souffrant de maladie(s) chronique(s). Pour toutes les autres, le virus s’avère (quasi) inoffensif. Or cela, on s’est gardé de nous le dire. Parce qu’on ne le savait pas ? Ou parce qu’il faut que tout le monde ait peur pour que fonctionne la stratégie de la « distanciation sociale » ?
Exemple en amont de Pâques. Le 8 avril, la NZZ titre, en Une, « Les hôpitaux attendent le pic pour mai seulement ». Le message est clair : le pire est à venir, explique un médecin des soins intensifs de l’Hôpital universitaire de Zurich. Ceci alors que tous les graphiques montrent une courbe aplatie. De nombreux autres médias suisses vont dans le même sens, avec pour argument : « Il ne faut pas que les gens se relâchent avant le week-end de Pâques »…
Peur canalisée dans nos sociétés
Si la multiplication des règlements sécuritaires, des verrous et des policiers (sinon des armes à feu) est parvenue à canaliser la peur dans nos sociétés, elle a fait un retour fracassant ces dernières semaines. Instillée dans nos vies, elle s’est mise à rôder partout. A bien y regarder comme puissant moteur pour que les mesures de lutte contre le coronavirus soient collectivement respectées.
Moteur pour le respect des mesures
Dès que le SARS-CoV-2 a été pris au sérieux, l’enjeu a été d’unir la population pour permettre une action homogène. Comment ? Par une bonne information et la force de conviction ? En misant sur le raisonnement et le bon sens de chacun ? Non, par la peur : peur et responsabilité vis-à-vis de soi, de ses proches, tout comme du quidam rencontré dans la rue, qui pourrait nous transmettre, ou à qui nous pourrions transmettre le virus. Selon le Tages-Anzeiger, le gouvernement suisse a d’ores et déjà dépensé quelque 5 millions pour sa campagne, faite sur toutes les plateformes, jusque dans les médias.
Faut-il le rappeler ? La peur est depuis la nuit des temps un levier pour unir les gens. Nombreux sont les déclenchements de conflits internationaux à l’avoir récemment rappelé. Renforcé par un vocabulaire guerrier, ce levier a fonctionné comme un jeu de dominos ces dernières semaines : des chiffres et des images terribles en provenance d’Italie ont effrayé et fasciné la terre entière et rapidement impliqué une « guerre contre le virus » et par suite une « mobilisation générale », de l’OMS, des Etats, des services publics, personnel soignant en tête. Très vite, l’armée, la protection civile, les forces de l’ordre et autres agents de la fonction publique, fédérations et représentants des médias se sont engagés dans la bataille.
Médias privés de sens critique
Pensant bien faire, la plupart des représentants des médias en a perdu sa distance critique. Dans l’urgence, des flux d’informations continus sont apparus partout pour relayer l’extrême dangerosité du virus, l’évolution catastrophique de la situation dans les hôpitaux et surtout la courbe terrifiante du nombre de personnes infectées et décédées. Le débat scientifique (en épidémiologie, virologie, infectiologie, voire en statistiques, sinon en économie, sociologie et philosophie) ainsi que les mises en perspectives hospitalières sont le plus souvent restés lettre morte au profit d’une information d’une pièce, basée sur des spécialistes et un personnel unanimes. Tous les moyens ont été mis en œuvre pour que « le corps social dans son ensemble soit atteint et en deuil », expliquait dimanche 12 avril le politologue Jérôme Fourquet, Directeur du département opinion à l’institut IFOP.
Série de réflexes et peur de mal faire
Etait-ce-là une volonté stratégique de nos dirigeants ? A priori plutôt une suite de réflexes et d’automatismes de la part d’une série de fonctionnaires (internationaux, nationaux, cantonaux, etc.) catapultés dans le vif de l’action avec l’envie de bien faire et… la peur de mal faire. Très vite, l’effet domino s’est mis en marche : les choses se sont réduites et fermées les unes après les autres. D’abord sans du tout se soucier des conséquences humaines et sociales potentiellement dramatiques que peuvent entraîner la peur et les mesures de « distanciation sociale ».
Aujourd’hui, les chiffres montrent que les mesures ont été très efficaces, que le personnel soignant a fait un travail exemplaire, mais aussi qu’il aurait été possible de faire les choses autrement, sur la base des recherches et propositions d’autres spécialistes. Demain nous dira si nous avons bien fait ces dernières semaines – ou pas.
Dans l’immédiat, l’enjeu est de surmonter la peur, retrouver une certaine sérénité et renouer avec le débat d’idées. Pour repartir de l’avant avec enthousiasme en direction de la joie.
#ObéissonsMaisOsonsPenser
Bonjour
Je recommande la lecture de l’article de Gilles Clément « Stratégie de la peur ».
Bien cordialement
Merci pour cette pépite qui synthèse de cruciaux enjeux contemporains.
Il existe d’autres « Stratégies », particulièrement le livre d’Anne-Cécile Robert « La Stratégie de l’émotion » pour une perspective plus générale sur la déliquescence des médias et l’omniprésence de l’émotion dans l’espace public.
https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/ROBERT/54709
Quatrième de couverture :
« Les émotions dévorent l’espace social et politique au détriment des autres modes de connaissance du monde, notamment la raison. Certes, comme le disait Hegel, « rien de grand ne se fait sans passion », mais l’empire des affects met la démocratie en péril. Il fait régresser la société sous nos yeux en transformant des humains broyés par les inégalités en bourreaux d’eux-mêmes, les incitant à pleurer plutôt qu’à agir. A la « stratégie du choc » qui, comme l’a montré Naomi Klein, permet au capitalisme d’utiliser les catastrophes pour croître, Anne-Cécile Robert ajoute le contrôle social par l’émotion, dont elle analyse les manifestations les plus délétères : narcissisme compassionnel des réseaux sociaux, discours politiques réduits à des prêches, omniprésence médiatique des faits divers, mise en scène des marches blanches, etc. Une réflexion salutaire sur l’abrutissante extension du domaine de la larme et un plaidoyer civique pour un retour à la raison. »
Très intéressant, en effet, merci!
Cordialement et à bientôt