Le monde : complexe artistique

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SUITE À SES PRÉCÉDENTES ANALYSES de la vie artistique, le Dr. MietZsche en vient à montrer comment, sur la base de la réinterprétation moderne du mot « esthétique », s’est joué la réduction de la sensibilité en général à la seule considération humaine du beau. Comment, autrement dit, la dimension artistique, esthétique, sensible de la vie a été reléguée aux calendes grecques. 

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Attention : le texte est relativement dense et exige peut-être plusieurs lectures et visionnements.

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AUSSI ÉTRANGE QUE CELA PUISSE PARAÎTRE, le mot-clé pour expérimenter et comprendre notre monde et rapport au monde est le mot « art », traduction latine du grec technè poiètikè, qui veut dire – on l’a déjà vu – prise en compte (technè) en vue de la production (poiètikè).

Même si on essaie de nous faire croire quantité d’autres choses, au fond, notre monde est un immense complexe artistique, constitué d’innombrables œuvres d’art. Tous les phénomènes vivants – toutes les plantes, les animaux, les hommes – sont en effet des œuvres d’art, produites par une mystérieuse force artistique cachée : force esthétique qui est donc de l’ordre de la technè poiètikè, prise en compte en vue de la production.

Si cette dimension artistique est chez l’homme occidental moderne le plus souvent consciente, réflexive, dominée par les apparences, les images et les idées – autrement dit par la seule vue sensible et intelligible, c’est-à-dire la faculté de penser –, elle est partout ailleurs, dans chaque plante, dans chaque animal et chaque enfant, régie par la faculté inconsciente, non rationnelle, de la sensibilité en général. Dans leur vie, dans l’évolution de leur vie, dans leurs productions, tous les phénomènes vivants sont toujours en train de répondre, d’agir et de réagir à ce qui se joue dans leur perception sensible en général, visible et invisible – et non dans leurs idées rationnelles.

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Le monde comme complexe artistique par Michysos
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Le mot grec ancien pour « perception sensible » est le terme aisthèsis. Il n’est pas seulement intéressant, mais encore fondamental pour notre thématique : il signifie la faculté de la sensibilité, le comportement sensible et affectif tel qu’il est propre à la vie en général.

C’est de ce mot aisthèsis qu’est né, au XVIIIe siècle, en Allemagne, chez Alexander Gottlieb Baumgarten (dans son livre qui s’appelle justement Aesthetica), notre concept et conception moderne idéaliste de l’« esthétique ». Concept et conception flous, d’usage confus, qui rassemblent tout discours non pas sur l’aisthèsis, la sensibilité, mais sur la seule beauté telle que la conçoit le sujet humain.

Vous l’avez peut-être déjà compris : ce que nous entendons aujourd’hui communément par « esthétique » est à vrai dire une double réduction, moderne et idéaliste, subjectiviste et objectiviste, de l’aisthèsis comme telle : le mot n’ouvre en effet plus à la dimension sensible, affective, artistique, en ce sens esthétique, de tout phénomène vivant, mais renferme le sujet humain conscient de soi sur les seules images et idées de beauté qu’on lui a enfoncées dans la tête.

La dimension artistique, esthétique, sensible de la vie en général est par là mise à mal… Pour y remédier, il faut arrêter de se fier à sa seule vue et à ses seules idées. Et libérer nos forces sensibles et artistiques – la phusis et Dionysos – que nous sommes au fond tous en tant que phénomène vivants.

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