« Il faut résister à l’union sacrée ! »

Covid-19 | Crise de l’info (2) | Pendant des semaines, partout, on a vu et entendu l’impératif « Restez chez vous ! » Les médias ont repris et intégré tel quel, sous forme de slogan et de logo le mot d’ordre gouvernemental. Voilà qui est problématique, comme l’a relevé le 16 mai dernier le philosophe André Comte-Sponville sur France Culture.

« On n’était plus dans une logique d’information », explique Comte-Sponville à propos de l’impératif de rester chez soi. « On était dans l’union sacrée. On a vécu avec la Covid-19 une union sacrée ».

Union sacrée : défense de la patrie menacée
Un petit rappel s’impose. L’« Union sacrée » est le nom donné au ralliement général des citoyens à la défense de la patrie menacée. L’expression est née de la bouche de Raymond Poincarré en août 1914, au début de la première guerre mondiale : « Dans la guerre qui s’engage, la France […] sera héroïquement défendue par tous ses fils dont rien ne brisera devant l’ennemi l’Union sacrée ». Or suite aux injonctions guerrières des gouvernements face à l’ennemi invisible qu’est le coronavirus, les médias ont très largement joué le jeu de l’« union sacrée ». Ce qui n’est pas sans poser un gros problème éthique.

« Sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration »
Pendant deux bonnes semaines, toutes les voix alternatives ont été ignorées et écartées par les médias traditionnels. En Suisse, les premiers articles distancés ont pointé le bout de leur nez début avril. Le ton et la parole ne se sont libérés que très progressivement.

D’abord en Suisse alémanique (dans la NZZ, puis la SonntagsZeitung, sous forme de commentaires d’invités extérieurs à la rédaction), ensuite en Suisse romande, quasi exclusivement dans Le Temps, qui a notamment donné la parole au même André Comte-Sponville, qui est venu scandaliser certains en soupirant, le 17 avril : « Sacrifier les jeunes à la santé des vieux, c’est une aberration. Cela me donne envie de pleurer ».

Sur France Culture, Comte-Sponville cite se revendique du philosophe Alain : « Il faut résister à l’union sacrée ! » L’union nationale politique, oui ! Avec des oppositions, des échanges d’idées, un débat démocratique, mais l’union sacrée, non !

Plutôt de l’air impur que pas d’air du tout
Pourquoi être contre le front commun de l’union sacrée ? Parce qu’elle est un grand danger : « Elle vient bloquer la pensée, le débat, empêcher toute discussion et pensée critique », explique Comte-Sponville. Grand danger qui a fait que les médias se soient, par leurs propos univoques et anxiogènes, décrédibilisés auprès des gens qui se posaient des questions. Avec pour conséquence que ces derniers se sont rués sur les réseaux pour trouver des bouffées d’air, des réponses à leurs doutes et questions, des éléments leur permettant de surmonter leur incompréhension et leur peur. Evidemment, tantôt pour y trouver de l’air impur, mais ce dernier est toujours plus vivifiant que l’absence d’air lié à l’information de propagande mortifère offerte par les médias traditionnels.

Aujourd’hui, alors que la crise est en voie de dénouement, il nous reste les souvenirs, de ce qui s’est passé, de ce qu’on nous a dit, de ce qu’on nous a fait croire, de ce qu’on a cru : des marques, des blessures, des incompréhensions, des peurs, des révoltes. Un tas de questions et une certaine suspicion à l’égard des médias, notamment. Et un grand sourire, finalement, en se rappelant qu’on a gardé notre santé, notre liberté d’esprit, notre joie de vivre et espoir de réussir à faire changer les choses pour un monde meilleur et une meilleure gestion des crises.

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