N’épargne pas ton prochain !

REGARDEZ, IL Y A LÀ UNE NOUVELLE TABLE DE VALEURS : mais où sont donc mes frères qui m’aident à la porter dans la vallée et dans les cœurs musclés ?

Voici ce que commande mon grand amour pour les hommes les plus lointains : n’épargne pas ton prochain ! Car l’homme est quelque chose qui doit être surmonté ; et si on est trop tendre avec lui, si on le ménage, au lieu de le renforcer, de le conduire vers le surhomme, on l’affaiblit, on le conduit à sa perte, le fait régresser à l’animal.

Bien sûr, il existe de multiples chemins et de nombreuses manières de se surmonter : à toi de trouver ceux qui te conviennent ! Mais une chose est sûre : il ne faut pas les chercher dans la facilité ; il n’y a que les farceurs qui croient qu’« il suffit, pour surmonter l’homme, de lui sauter par-dessus » ; qu’on peut, comme ça, du jour au lendemain, passer de l’homme au surhomme.

Voici ce que tu as à faire : te surmonter toi-même, et ce jusque dans ton prochain ! Et pour y parvenir, tu ne dois pas te laisser accorder par quiconque un droit que tu peux t’accorder toi-même ! Pour te dépasser toi-même, tu dois être le maître de toi-même

Et attention de ne pas trop attendre de ton prochain : en dépit de tous tes efforts, ce que tu entreprends, ce que tu fais, nul ne va te le rendre. Regarde, ce n’est pas donnant-donnant : il n’existe aucune rétribution. Alors ne manque pas de te donner à fond ; de faire ce que tu as à faire sans compter, sans calcul, en toute générosité, en pur donateur !

Et que ce soit bien clair : celui qui n’est pas capable de se prendre en main, qui n’arrive pas à se donner à soi-même des ordres sur le chemin du surhomme, doit tout simplement se garder de donner des ordres et se contenter d’obéir. Bien sûr, plus d’un est capable de se donner des ordres, aussi en direction du surhomme, mais ce qui manque à la plupart – et qui manque même de beaucoup – est l’obéissance ! Oui, rares sont ceux qui savent obéir aux commandements qu’ils se donnent ! Décider de faire des efforts, s’ordonner de changer est une chose ; avoir la force de le réaliser, d’obéir à son commandement en est une autre ! Et gare à celui qui ne fait que commander – sans être capable d’obéir à son propre commandement : lui aussi ne fait que s’affaiblir, régresser à l’animal !

 

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Traduction littérale

Regardez, il y a là une nouvelle table : mais où sont mes frères qui la portent avec moi dans la vallée et dans des cœurs musclés ?

Voilà ce que commande mon grand amour pour les plus lointains : n’épargne pas ton prochain ! L’homme est quelque chose qui doit être surmonté.

Il existe de multiples chemins et manières de surmonter : sur ce, à toi de voir ! Mais seul un farceur pense : « On peut aussi sauter par-dessus l’homme ».

Surmonte-toi encore toi-même même dans ton prochain : et un droit dont tu peux te dérober, tu ne dois pas te le laisser donner !

Ce que tu fais, nul ne peut te le rendre. Regarde, il n’existe aucune rétribution.

Quiconque ne peut pas se commander à soi-même doit obéir. Et plus d’un peut se commander, mais il manque encore beaucoup pour qu’il s’obéisse aussi !

***

Il s’agit là de la partie 4 (sur 30) du douzième chapitre (« De vieilles et de nouvelles tables ») de la « Troisième partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres se trouvent ici.

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