Libérer et bénir le monde

StopLes sept seaux-2SI JAMAIS MA COLÈRE A BRISÉ DES TOMBES pour laisser respirer nos vieux morts et redonner de l’air aux anciennes sagesses trop vite oubliées… Si jamais ma colère a repoussé des frontières, des bornes, des limites, pour élargir les horizons et ouvrir de nouvelles possibilités d’existence… Si jamais ma colère s’est occupée des vieilles tables de valeurs brisées en les jetant dans d’abruptes profondeurs pour se débarrasser une fois pour toutes des dogmes moraux qui stérilisent la vie…

Si jamais mon sarcasme a fait voler en éclats des vieux mots pourris, si mon rire à pulvérisé de vieilles formules creuses, incapables de dire et de servir la vie… Si jamais je suis venu comme un balai chez les araignées porteuses de croix, si je n’y suis pas allé de main morte pour débarrasser le monde des infatigables et astucieuses tisseuses de toile, toujours aux aguets, prêtes à bondir sur leurs proies et à les vider de leur sang… Si jamais je me suis présenté en tant que vent balayeur de vieilles tombes qui sentent le renfermé, en tant que bol d’air frais dans un monde devenu étouffant…

Si jamais j’ai jubilé d’être assis sur les tombes des vieux dieux, si j’ai exulté de joie à califourchon sur des vieux dieux allongés sous terre… Si, à côté des monuments des vieux calomniateurs du monde, je me suis mis à bénir le monde, à affirmer et aimer le monde…

– Car j’aime tout ça ; je dis oui à tout à tout ça : j’aime même les églises et les tombes des dieux, quand leurs toits sont brisés, quand le ciel, la lumière de la vie regarde de nouveau d’un œil pur à travers leurs plafonds brisés ; et donc quand elles ne sentent plus le renfermé, quand on n’y étouffe plus, quand elles ne souillent plus le présent de leur odeur nauséabonde. Oui, je suis comme l’herbe et le rouge pavot : j’aime grandir sur les décombres, j’aime m’asseoir sur les églises en ruine –

Si ma colère, mon sarcasme et ma jubilation m’ont poussé à tout ça, ô comment pourrais-je ne pas être désireux d’éternité, sensuellement, sexuellement attiré par le nuptial anneau des anneaux, l’anneau de l’éternel retour du même ?

J’ai beau avoir cherché, jamais je n’ai trouvé la femme avec qui je voulais faire des enfants ; jamais je n’ai aimé de femme au point de vouloir, avec elle, perpétuer mon genre et faire des enfants ; ne serait-ce…, ne serait-ce avec cette seule femme que j’aime de fond en comble : l’éternité. Il n’y a qu’avec elle, qu’avec l’éternité et pour l’éternité que je veux faire des enfants, que je veux perpétuer mon genre et donner naissance à de beaux enfants, de beaux enfants remplis de force, de maîtrise et de joie. Car je t’aime, ô éternité ! Et avec toi et pour toi je veux tout faire ; avec toi et pour toi je veux produire le meilleur, avec toi et pour toi je veux avancer en direction du surhomme, je veux contribuer à la naissance du surhomme !

Car je t’aime, ô éternité !

***

Traduction littérale

BalaiSi jamais ma colère a brisé des tombes, repoussé des frontières et roulé de vieilles tables brisées dans d’abruptes profondeurs :

si jamais mon sarcasme a fait voler des mots décomposés, et je suis venu comme un balai chez les araignées à croix et en tant que vent balayeur de vieilles tombes renfermées :

si jamais j’ai jubilé d’être assis là où sont couchés de vieux dieux enterrés, bénissant le monde, aimant le monde à côté des monuments de vieux calomniateurs du monde : –

– car j’aime même les églises et les tombes des dieux, quand le ciel regarde de nouveau d’un œil pur à travers leurs toits brisés ; j’aime m’asseoir comme l’herbe et le rouge pavot sur des églises brisées –

ô comment ne devrais-je pas être désireux d’éternité et du nuptial anneau des anneaux, – l’anneau du retour ?

Jamais encore je n’ai trouvé la femme dont je voudrais des enfants, ne serait-ce cette femme que j’aime : car je t’aime, ô éternité !

Car je t’aime, ô éternité !

***

Il s’agit ci-dessus de la deuxième partie « Des sept sceaux » (seizième chapitre) de la « Troisième partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici.

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