Septième leçon du long prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes.
Jadis, l’éclair était l’arme suprême de Zeus. Il lui permettait de rétablir l’équilibre entre ciel et terre. Aujourd’hui, l’éclair n’est plus vraiment un danger. A force d’expériences et d’intelligence, l’homme a appris à se protéger de la foudre : des paratonnerres sont installés un peu partout ; et tout le monde sait comment réagir en cas d’orage. Bien sûr, la plupart se réjouit qu’il en soit ainsi, mais pas moi.
Il ne me suffit pas que l’éclair ne nuise plus. Loin de vouloir m’en protéger, le dévier, je veux au contraire le voir plus fort, le rendre plus fort – et le mettre à mon service : oui, l’éclair doit apprendre à travailler pour moi.
Voilà longtemps déjà que ma sagesse se rassemble comme un nuage. Voilà longtemps qu’elle devient plus calme, plus pleine, et à la fois plus sombre. Voilà longtemps qu’elle fait comme toute sagesse, comme tout nuage qui doit un jour accoucher d’éclairs.
Je ne veux pas être une simple lumière pour les hommes d’aujourd’hui. Je ne veux pas être considéré par eux comme une simple lumière. Je veux les éblouir, les hommes d’aujourd’hui, les aveugler : allez, éclair de ma sagesse, par Zeus, éclate-leur à la figure et crève-leur les yeux !
Les aveugler par l’éclat de ma sagesse me semble être le seul moyen de rétablir l’équilibre : de les faire arrêter de regarder, de mesurer, de calculer, de manipuler, de détériorer toute chose. Les rendre aveugles me semble être le seul moyen de leur réapprendre à sentir, à vivre et à accompagner les phénomènes comme il se doit ; à partir des plus terribles profondeurs jusqu’aux plus délicieuses hauteurs ; en direction de l’excellence.
Les aveugler me semble être le seul moyen de faire en sorte que les hommes d’aujourd’hui deviennent les hommes de demain, que les hommes d’aujourd’hui s’élèvent en direction de l’homme à venir, cheminent en direction du surhomme.
Telle est la septième des vingt leçons de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Il ne me suffit pas que l’éclair ne nuise plus. Je ne veux pas le dévier : il doit apprendre à travailler – pour moi.
Ma sagesse se rassemble depuis longtemps déjà comme un nuage, elle devient plus calme et plus sombre. C’est ainsi que fait toute sagesse qui doit un jour accoucher d’éclairs. –
Je ne veux pas être une lumière, être appelé lumière pour ces hommes d’aujourd’hui. Eux – je veux les éblouir : éclair de ma sagesse ! Crève-leur les yeux !
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Il s’agit ci-dessus de la septième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.