La sangsue

SangsueLa sangsueAPRÈS AVOIR RENCONTRÉ LES DEUX ROIS, Zarathoustra a continué pensivement son chemin vers le bas, en direction du cri de détresse qu’il a entendu précédemment en compagnie du devin. Chemin faisant, il pensait à sa tâche : celle de mettre l’homme sur la voie du surhomme. C’est ainsi, pensif, qu’il a traversé des forêts et passé à côté de nombreux fonds marécageux. Mais voilà que, comme ça arrive quand on à l’esprit ailleurs, et d’autant plus quand on pense à des choses lourdes et difficiles, il n’a pas regardé où il mettait les pieds et a, par mégarde, marché sur un homme couché sur le sol. Homme qui n’a pas tardé à réagir. Et comment ! D’un instant à l’autre, un cri de douleur, deux jurons et vingt dures insultes ont bondi à la figure de Zarathoustra. Dans un sursaut de peur, ce dernier n’a pu s’empêcher de lever son bâton et, par réflexe, de se mettre à frapper l’homme qu’il avait malencontreusement foulé du pied. Avant de très vite reprendre ses esprits ; et de se mettre à rire dans son cœur de la folie qu’il venait de commettre.

« Pardonne-moi, a-t-il dit alors au piétiné qui s’est redressé furieusement et s’est retrouvé assis, tout groggy. Pardonne-moi et, avant de réagir, avant de me dire quoi que ce soit, écoute d’abord cette parabole :

Un jour, sur une route solitaire, un voyageur rêvant de choses inhabituelles, lointaines, se heurte par mégarde à un chien qui dort, à un chien couché au soleil.

Sur le coup, tous deux sont évidemment stupéfaits, et effrayés à mort par ce qui leur arrive : tous deux sursautent, s’accrochent et finissent par se fâcher, pareils à des ennemis mortels. Voilà exactement comment ça s’est passé pour nous à l’instant.

Et pourtant ! Et pourtant – et voici la morale de l’histoire : il s’en est fallu de peu qu’ils se cajolent, ce chien et ce solitaire ! Oui, car au fond, tu sais, ils souffrent tous deux des mêmes maux ! Oui, au fond, ils sont tous deux – des solitaires : des êtres en manque de compagnie, en manque d’affection, en manque d’amour ! »

« Qui que tu puisses être, a alors répondu, toujours aussi furieux, celui qui venait de se faire piétiner ; par ton histoire, tu aggraves encore ton cas ! Oui, tu n’es pas seulement passé trop près de moi avec ton pied, mais tu viens de faire exactement la même chose avec ta parabole !

Regarde-moi bien : suis-je donc un chien ? Comment oses-tu me traiter de chien ! » Et en disant cela, l’homme a quitté la position assise pour se lever, retirant alors son bras nu du marais et se montrant tel qu’il était. Car d’abord – on l’a compris –, il était couché, étendu sur le sol, caché et méconnaissable, pareil à ceux qui guettent le gibier des marais.

« Mais qu’est-ce que tu fais ! », s’est alors exclamé Zarathoustra, effrayé en voyant tout à coup que beaucoup de sang coulait du bras nu de l’homme en train de se lever. « Qu’est-ce qui t’est arrivé, malheureux ? Tu as été mordu par une vilaine bête ? »

Au lieu de se plaindre, l’ensanglanté s’est mis à rire ; d’une rire de dédain, car au fond il était toujours fâché. « En quoi ça te regarde ?, a-t-il dit en voulant partir et continuer son chemin. Je suis ici chez moi, dans mon domaine. M’interroge qui veut : je réponds à qui je veux ; et il est peu probable que je réponde à un malotru, à un lourdaud de ton genre. »

« Tu te trompes, a alors dit Zarathoustra, compatissant et le retenant fermement par le bras pour qu’il ne s’en aille pas. Tu te trompes : tu n’es pas chez toi, ici, dans ton domaine, mais chez moi, dans mon domaine. Et là, personne ne doit souffrir dommage ; personne ne doit souffrir comme tu le fais.

Tu te demandais qui je pouvais bien être ? Tu peux m’appeler comme tu veux – malotru, lourdaud, ou je ne sais comment encore –, ça m’est égal : le jugement des autres ne m’importe pas ; je suis simplement celui que je dois être. Moi-même, je m’appelle Zarathoustra.

Allons ! Regarde : le chemin qui monte là-haut monte vers ma caverne : elle n’est pas loin, – ne veux-tu pas grimper chez moi pour soigner tes blessures ? Je t’y invite !

Les choses ont été dures pour toi, malheureux, dans cette vie : d’abord tu as été mordu par la bête, et ensuite – c’est l’homme qui t’a écrasé ! »

Mais quand le piétiné a entendu le nom de Zarathoustra, il s’est soudain transformé : de furieux qu’il était, il est devenu tout autre, curieux, joyeux. « Que m’arrive-t-il donc !, s’est-il exclamé, qui m’importe donc encore, dans ce monde, si ce n’est cet unique homme, à savoir Zarathoustra, justement, et cette unique bête qui vit du sang, la sangsue !

C’est à cause de la sangsue que j’étais couché ici, tel un pêcheur de gibier dans ce marais. Et voilà que mon bras étendu a déjà été mordu dix fois ! Et voilà que me mord encore un plus bel animal, lui aussi avide de sang, avide de boire mon sang : Zarathoustra lui-même !

Ô bonheur ! Ô merveille ! Loué soit ce jour qui m’a attiré vers ce marais ! Louée soit la meilleure et plus vivante ventouse qui vit aujourd’hui sur terre ! Louée soit la grande sangsue de la conscience ! Loué soit Zarathoustra, lui qui débarrasse les hommes de la superficialité, de la pensée réflexive, de la ratiocination de la survalorisation de leur personne ! »

Voilà comment a parlé le piétiné. Forcément pour le plus grand plaisir de Zarathoustra, qui s’est bien évidemment réjoui de ses mots et de leur subtile et respectueuse manière. « Qui es-tu donc ?, lui a-t-il demandé en lui tendant la main : à t’entendre, il y a entre nous beaucoup de choses à tirer au clair et à éclaircir. Regarde autour de nous, il me semble que le jour devient déjà plus pur et plus clair. La nature entière semble se réjouir de notre rencontre. »

« Je suis le consciencieux de l’esprit, a alors répondu l’interrogé. Et pour ce qui est des choses de l’esprit, difficile de trouver quelqu’un qui les prend de façon plus consciencieuse, c’est-à-dire plus sévère, plus étroite et plus dure que moi. Si ce n’est, précisément, celui dont j’ai appris à procéder de la sorte : Zarathoustra lui-même.

Je ne suis pas un être de culture, d’érudition, de superficialité, de faux-semblant : je préfère ne rien savoir du tout plutôt que de savoir beaucoup de choses à moitié ! Je ne me fie pas au jugement des autres, à la vision du monde de la plupart : plutôt être un bouffon à sa manière qu’un sage au gré des autres ! Moi – je suis un être consciencieux : je vais au fond des choses !

Que m’importe qu’il soit grand ou petit, mon fond ? Qu’il soit sombre, boueux, terrible, ou au contraire clair, limpide, idéal ? Qu’il s’appelle marais ou ciel ? Moi, un fond d’une largeur de main me suffit : pourvu qu’il soit vraiment un fond et un sol ! Pourvu que je puisse y creuser sans fin – et y découvrir des trésors.

Un fond d’une largeur de main, ça suffit, c’est déjà beaucoup : là-dessus, on peut s’appuyer, on peut se tenir debout. Quant on fait bien les choses, en toute conscience, selon la bonne science, la vraie science de la conscience, celle qui avance en toute probité, sans faux-semblant, sans tricherie, tout s’avère relatif : il n’y a rien de grand et de petit, de beau et de laid ; tout est grand et petit, tout et beau et laid à la fois. »

« J’ai peut-être compris qui tu es : n’es-tu pas le connaisseur de cet étrange animal suceur de sang qu’est la sangsue ?, a alors demandé Zarathoustra. Et ta tâche n’est-elle pas de suivre le cheminement de la sangsue, et ce jusqu’aux derniers fonds, jusqu’aux fonds les plus abyssaux, toi le consciencieux de l’esprit, toi l’être rigoureux, patient, sévère et dur avec toi-même ? »

« Ô Zarathoustra, que racontes-tu là, a répondu le piétiné ; ce serait là chose monstrueuse, comment oserais-je, moi, suivre le cheminement de la sangsue ! Il faudrait que je sois moi-même un monstre pour le faire !

Non, je suis loin de suivre la sangsue jusqu’aux fonds les plus abyssaux… Par contre, si je suis maître et connaisseur de quelque chose, c’est du cerveau de la sangsue, du mode de fonctionnement de la sangsue : voilà mon monde !

Et c’est bien tout un monde ! Mais pardonne que ma fierté vienne à parler ici, car je n’ai pas de pareil en la matière. C’est pourquoi j’ai dit, tout à l’heure – parole qui ne t’a pas plu : « Je suis ici chez moi ».

Depuis combien de temps suis-je déjà à la poursuite de cette chose, de cette seule chose : le cerveau de la sangsue ? Depuis combien de temps est-ce que je fais tout ce que je peux pour que cette vérité gluante et assoiffée de sang ne me glisse plus des doigts ! Pour que je comprenne comment elle fonctionne : ce qui la pousse, ce qui la tire, ce qui la fait sucer toujours et encore et toujours et encore ! Voilà mon domaine !

Pour y parvenir, j’ai tout abandonné ; j’ai jeté au loin tout le reste ! Pour arriver à percer ce mystère, toutes les autres choses me sont devenues indifférentes ! Oui, et ça ne me gène pas : serré à côté de mon savoir du cerveau de la sangsue, que je creuse et qui s’approfondit jour après jour, se trouve étendue ma noire ignorance sur toutes les autres choses du monde.

Je ne choisis pas. C’est la conscience, la probité elle-même de l’esprit qui veut qu’il en soit ainsi de moi : que je sache une chose à fond, et que, sinon, j’ignore tout. Et même plus : pour dire la vérité, toutes les demi-mesures de l’esprit, tous les compromis, toutes les choses faites à moitié, tous les être brumeux, flottants, tous les exaltés et autres êtres superficiels me dégoûtent.

Là où cesse ma probité, mon honnêteté, mon travail, ma raison de vivre, je suis aveugle ; et je veux aussi être aveugle. Mais là où je travaille, où je creuse, où je veux savoir, je veux être probe, honnête, c’est-à-dire dur, sévère, étroit, cruel, impitoyable. Si je n’étais comme ça, si je pouvais m’arranger, m’intéresser à quantité de choses, faire les choses à moitié, je serais ni plus ni moins un… imposteur.

Tu sais, ô Zarathoustra, ce qui m’a conduit et séduit à ton enseignement ? C’est cette phrase, que tu as dite, un jour : « L’esprit est la vie qui tranche dans la vie même ». L’esprit est la vie qui tranche dans la vie même : l’esprit, la conscience n’est rien d’autre que la vie elle-même : une possibilité de la vie elle-même. Et pas n’importe laquelle : la possibilité qui tranche dans la vie elle-même, qui creuse dans elle, qui la sonde, l’analyse, et permet de la connaître. Voilà ce qui m’a conduit et séduit à ton enseignement. Et, en vérité, en tranchant dans ma propre vie, dans ma propre personne, en me creusant, en me forant et analysant moi-même, en buvant mon propre sang, j’ai, de mon propre sang, multiplié mon propre savoir ! »

« Comme l’enseigne en l’occurrence bien l’apparence », a interrompu Zarathoustra, en se moquant gentiment de son compagnon ; car le sang continuait en effet à couler sur le bras nu du consciencieux. Dix sangsues en effet l’avaient mordu et s’accrochaient voracement à son bras.

« Ô, étonnant compagnon, a continué l’homme : tu parles d’apparence ! Combien m’enseigne cette apparence que voici, là, devant moi, à savoir toi-même ! Te voilà qui te moque de moi : peut-être que l’heure est venue de cesser de creuser en moi-même ; peut-être que j’ai été trop généreux, peut-être que je ne devrais pas tout faire couler dans tes sévères oreilles ! »

« Allons ! Que racontes-tu là ! Mais j’en ai assez entendu : séparons-nous ici !, a alors conclu Zarathoustra. Mais j’aimerais bien te retrouver, tu sais ; te retrouver là-bas, en haut. Comme déjà dit : le chemin, là-bas, te conduira vers ma caverne : cette nuit, tu dois y être mon hôte, mon cher hôte !

Si Zarathoustra a jadis réussi à faire du bien à ton esprit, te rendant consciencieux, honnête, probe comme il se doit, il aimerait désormais volontiers faire de même à ton corps, que j’ai par mégarde maltraité de mes pieds, tout à l’heure. Voilà ce que je me dis ; voilà à quoi je pense. Mais je ne peux maintenant rester plus longtemps avec toi ici : un cri de détresse m’appelle et me presse à te quitter. »

Parole de Zarathoustra.

***

Traduction littérale

ForêtEt Zarathoustra a continué pensivement son chemin vers le bas, à travers des forêts et à côté de fonds marécageux ; mais, comme il arrive à quiconque pense à des choses difficiles, il a par mégarde marché sur un homme. Et voici que d’un coup un cri de douleur et deux jurons et vingt dures insultes lui ont bondi à la figure : en sorte que, dans sa peur, il a levé le bâton et encore frappé l’homme sur lequel il avait marché. Mais aussitôt il a repris ses esprits ; et son cœur a ri de la folie qu’il venait de commettre.

« Pardonne, a-t-il dit au piétiné qui s’est relevé furieusement et assis, pardonne et entend avant tout d’abord une parabole.

Comme un voyageur qui rêve de choses lointaines se heurte par mégarde sur une route solitaire à un chien qui dort, à un chien qui est couché au soleil :

– comme, là, tous deux sursautent, s’accrochent, pareils à des ennemis mortels, ces deux effrayés à mort : voilà comment ça s’est passé pour nous.

Et pourtant ! Et pourtant – il s’en est fallu de peu qu’ils se cajolent, ce chien et ce solitaire ! Ils sont bien tous deux – des solitaires ! »

– « Qui que tu puisses être, a dit, toujours furieux, le piétiné, tu passes aussi trop près de moi avec ta parabole, et pas seulement avec ton pied !

Regarde, suis-je donc un chien ? » – et ce faisant celui qui était assis s’est levé et a retiré son bras nu du marais. Car d’abord il était couché étendu sur le sol, caché et méconnaissable, pareil à ceux qui guettent le gibier des marais.

« Mais que fais-tu donc ! » a crié Zarathoustra effrayé, car il a vu que beaucoup de sang coulait du bras nu, – « qu’est-ce qui t’est arrivé ? As-tu, toi, malheureux, été mordu par une vilaine bête ? »

Celui qui saignait riait, toujours fâché. « Qu’est-ce que ça te regarde ?, a-t-il dit et voulait continuer son chemin. Je suis ici chez moi dans mon domaine. M’interroge qui veut : mais il est peu probable que je réponde à un malotru/lourdaud. »

« Tu te trompes, a dit Zarathoustra compatissant et le tenant fermement, tu te trompes : tu n’es pas chez toi, ici, mais dans mon domaine, et là, nul ne doit souffrir dommage.

Mais appelle-moi néanmoins comme tu veux, – je suis celui que je dois être. Je m’appelle moi-même Zarathoustra.

Allons ! Le chemin monte là-haut vers la caverne de Zarathoustra : elle n’est pas loin, – ne veux-tu pas veiller sur tes blessures chez moi ?

Les choses ont été dures, pour toi, malheureux, dans cette vie : d’abord la bête t’a mordu, et puis – l’homme t’a écrasé ! » –

Mais quand le piétiné a entendu le nom de Zarathoustra, il s’est transformé. « Que m’arrive-t-il donc !, s’est-il exclamé, qui m’importe donc encore dans ce monde, sinon cet unique homme, à savoir Zarathoustra, et cette unique bête qui vit du sang, la sangsue !

C’est à cause de la sangsue que j’étais couché ici tel un pêcheur dans ce marais, et déjà mon bras étendu a été mordu dix fois, voilà que mord encore un plus bel hérisson pour boire mon sang, Zarathoustra lui-même !

Ô bonheur ! Ô merveille ! Loué soit ce jour qui m’a attiré vers ce marais ! Loué soit la meilleure et plus vivante ventouse qui vit aujourd’hui, loué soit la grande sangsue de la conscience, Zarathoustra ! » –

Voilà comment a parlé le piétiné ; et Zarathoustra s’est réjoui de ses mots et de leur subtile et respectueuse manière. « Qui es-tu ?, a-t-il demandé et lui a tendu la main, entre nous il y a beaucoup à tirer au clair et à éclaircir : mais déjà, il me semble, le jour devient plus pur et plus clair. »

« Je suis le consciencieux de l’esprit, a répondu l’interrogé, et pour les choses de l’esprit, difficile de trouver quelqu’un qui les prend de façon plus sévère, étroite et dure que moi, si ce n’est celui dont je l’ai appris, Zarathoustra lui-même.

Plutôt ne rien savoir que de savoir beaucoup à moitié ! Plutôt être un bouffon à sa propre manière qu’un sage au gré des autres ! Moi – je vais au fond :

– que m’importe qu’il soit grand ou petit ? Qu’il s’appelle marais ou ciel ? Un fond d’une largeur de main me suffit : pourvu qu’il soit vraiment un fond et un sol !

– un fond d’une largeur de main : là-dessus on peut se tenir debout. Dans la droite science-conscience, il n’y a rien de grand et de petit. »

« Alors tu es peut-être celui qui connaît la sangsue ?, a demandé Zarathoustra ; et tu suis la sangsue jusqu’aux derniers fonds, toi le consciencieux ? »

« Ô Zarathoustra, a répondu le piétiné, ce serait chose monstrueuse, comment oserais-je l’entreprendre !

Mais ce dont je suis maître et connaisseur, c’est du cerveau de la sangsue : – c’est là mon monde !

Et c’est aussi un monde ! Mais pardonne que ma fierté vienne ici à la parole, car je n’ai là pas de pareil. C’est pourquoi j’ai dit « je suis ici chez moi ».

Depuis combien de temps suis-je déjà à la poursuite de cette seule chose, du cerveau de la sangsue, de sorte que cette vérité gluante ne me glisse ici plus des doigts ! C’est ici mon domaine !

– pour cela j’ai jeté au loin tout le reste, pour cela tout le reste m’est devenu indifférent : et serré à côté de mon savoir s’étend/repose ma noire ignorance.

La conscience de l’esprit le veut ainsi de moi, que je sache une chose et sinon ignore tout : je suis dégoûté de toutes les demi-mesures de l’esprit, de tous les brumeux, flottants, exaltés.

Là où cesse ma probité, je suis aveugle et veux aussi être aveugle. Mais là où je veux savoir, je veux aussi être probe, c’est-à-dire dur, sévère, étroit, cruel, impitoyable.

Que tu aies dit un jour, ô Zarathoustra : « L’esprit est la vie qui tranche dans la vie même », cela m’a conduit et séduit à ton enseignement. Et, en vérité, avec mon propre sang j’ai multiplié mon propre savoir ! »

– « Comme l’enseigne l’apparence », a interrompu Zarathoustra ; car le sang coulait toujours sur le bras nu du consciencieux. Dix sangsues l’avaient en effet mordu et s’y accrochaient. »

« Ô, étonnant compagnon, combien m’enseigne cette apparence-là, à savoir toi-même ! Et je ne devrais peut-être pas tout faire couler dans tes sévères oreilles ! »

« Allons ! Séparons-nous ici ! Mais j’aimerais bien te retrouver. Là-bas en haut conduit le chemin vers ma caverne : cette nuit tu dois là-bas être mon cher hôte !

J’aimerais volontiers aussi réparer ce que Zarathoustra a fait de ses pieds à ton corps : j’y pense. Mais un cri de détresse m’appelle maintenant et me presse à te quitter. »

Parole de Zarathoustra.

***

Il s’agit ci-dessus du quatrième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas)Les autres chapitres et parties se trouvent ici.

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