Quatrième partie du long prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, là-haut, dans sa caverne perchée dans les montagnes.
Avez-vous du courage, ô mes frères ?, demande Zarathoustra. Avez-vous du cœur ? Etes-vous vigoureux, prêt à vous battre ? Attention : je ne parle pas du courage devant témoin, qu’on a quand des gens nous regardent, quand on fait semblant, mais du vrai courage de solitaire, du courage d’aigle, qui est à l’œuvre quand personne, plus personne n’est là pour nous regarder, pas même Dieu, pas même le moindre des dieux.
Les âmes froides, qui objectivent les choses, les mulets, qui font ce qu’on leur dit, les aveugles, qui fonctionnent comme des automates, les hommes ivres, qui ne sont pas maîtres de leurs moyens, qui n’écoutent que leurs sens, qui agissent comme des bêtes, sont loin d’avoir ce que j’appelle du cœur, du courage. Ils sont tous, tels qu’ils sont, trop superficiels, trop obéissants, trop passifs ; tous jouissent de trop de confort, de trop de facilité pour avoir du cœur.
Oui, pour avoir du cœur, il faut qu’intervienne… la peur, l’effroi : seul a du cœur celui qui connaît la peur ; qui connaît la peur, et en même temps la dompte, la surmonte ; celui qui voit l’abîme, qui regarde dans les profondeurs de l’abîme, mais avec hauteur, avec fierté.
Celui qui voit l’abîme, qui regarde dans les sombres et terribles profondeurs abyssales, mais avec des yeux d’aigle ; celui qui saisit l’abîme de ses griffes, qui s’en empare avec ses griffes d’aigle : celui-là seul, ô mes frères, est courageux.
C’est lui qu’il s’agit de devenir ; c’est lui qui vous fera avancer en direction du surhomme !
Telle est la quatrième des vingt leçons de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Avez-vous du courage, ô mes frères ? Avez-vous du cœur ? Non pas du courage devant témoin, mais du courage de solitaire et d’aigle, que nul dieu ne regarde plus non plus ?
Les âmes froides, les mulets, les aveugles, les hommes ivres n’ont pas ce que j’appelle du cœur. A du cœur qui connaît la peur, mais qui dompte la peur ; qui voit l’abîme, mais avec fierté.
Qui voit l’abîme, mais avec des yeux d’aigle, – qui saisit l’abîme avec des griffes d’aigle : celui-ci est courageux. – –
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Il s’agit ci-dessus du treizième chapitre (4/20) de la « Quatrième et dernière partie » des « Discours de Zarathoustra » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.