Dix-neuvième leçon du prêche de sagesse tragique que Zarathoustra distille à ses hôtes, les hommes supérieurs, dans sa caverne perchée dans les montagnes.
Elevez vos cœurs, mes frères ! Elevez-les haut, plus haut ! Et n’oubliez pas non plus les jambes ! Elevez aussi vos jambes, vous autres excellents danseurs ! Et mieux encore : sachez les lever si haut et si bien que, loin de tomber, vous soyez encore amenés à tenir debout et à danser sur la tête !
Dans le bonheur, comme partout, il existe des animaux pesants, des balourds, maladroits de naissance. C’est étonnant de voir comment, semblables à des éléphants, ils s’évertuent à danser et à se tenir debout sur la tête.
Mais mieux vaut encore un bouffon de bonheur qu’un bouffon de malheur ; mieux vaut encore danser en balourds que de marcher en boiteux. Apprenez donc de moi cette sagesse : même la pire chose, même le plus mauvais élément, a un bon côté, et même plus : a deux bons côtés.
Même le pire phénomène a de bonnes jambes pour danser : apprenez donc, vous, hommes supérieurs, à vous tenir droit sur vos jambes ! Apprenez donc à danser !
Désapprenez à broyer du noir ! Désapprenez la tristesse de la populace ! O comme les guignols de la populace, comme les pesants, les lourds, les maladroits m’apparaissent tristes, aujourd’hui ! Mais il en est ainsi : il n’y a rien à faire : l’heure est aujourd’hui celle de la populace.
Apprenez donc, vous autres hommes supérieurs, à vous tenir droit sur vos jambes : apprenez donc à danser !
Telle est la dix-neuvième des vingt leçons de Zarathoustra.
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Traduction littérale
Elevez vos cœurs, mes frères, haut !, plus haut ! Et ne m’oubliez pas non plus les jambes ! Elevez aussi vos jambes, vous autres bons danseurs, et mieux encore : vous vous tenez aussi debout sur la tête !
Il y a aussi des bêtes pesantes dans le bonheur, il y a des balourds de naissance. C’est étonnant de les voir se donner de la peine, semblable à un éléphant, qui s’évertue de se tenir debout sur la tête.
Mais mieux vaut encore un bouffon de bonheur qu’un bouffon de malheur, mieux vaut danser en balourds que de marcher en boiteux. Apprenez donc de moi ma sagesse : même la pire chose a deux bons revers. –
– même la pire chose a de bonnes jambes pour danser : apprenez-moi donc, vous autres hommes supérieurs, à vous tenir vous-mêmes droit sur vos jambes !
Désapprenez-moi donc à broyer du noir et toute la tristesse de la populace ! O comme les guignols de la populace me semblent aujourd’hui tristes ! Mais cet aujourd’hui est celui de la populace.
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Il s’agit ci-dessus de la dix-neuvième partie du treizième chapitre de la « Quatrième et dernière partie » du Zarathoustra de Nietzsche. Texte phusiquement réinvesti (en haut) et traduction littérale (en bas). Les précédents chapitres et parties se trouvent ici. Musique : Keith Jarrett, Köln Concert, 1975.